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hommes tentèrent d’aller plus avant : c’étaient deux Italiens, le consul de Sardaigne, M. Vaudey, et le missionnaire Angelo Vinco. Celui-ci était le type parfait du missionnaire chrétien au Soudan : aventureux, brave, excellent tireur, d’humeur joyeuse, il était fort aimé des Bary, dont il avait appris la langue, et ils avaient composé en son honneur une petite chanson, — Adjilo ! Adjilo ! Iti Belegnân, — qui est encore à présent une des rondes favorites de la jeunesse de Gondokoro et des hameaux voisins. En voici la traduction :

« Angelo ! Angelo ! va-t’en à Belegnân : il n’y a ici que maladies. — Non, non, je suis bien ici !

« — Va-t’en à Belegnân : là il n’y a pas de moustiques. — Non, non, je suis bien ici !

« — Vive, vive Angelo !… »

Don Angelo est le seul blanc qui ait pénétré chez un autre grand peuple de l’est, les Bery, qui obéit à un roi et rend hommage, comme les tribus voisines, à un mauvais esprit desservi par les koudjour (prêtres ou sorciers), spécialement chargés de l’apaiser, afin qu’il laisse tomber les pluies vivifiantes. Il ne trouva pas chez les Bery le même accueil que dans la peuplade voisine, de nom presque semblable. Angelo ayant commencé à prêcher devant les Bery, leur roi l’interrompit en lui disant : « Si ton Dieu est si puissant, tu dois être plus fort que nos koudjour, et comme justement la pluie nous fait défaut, nous allons te mettre à l’épreuve ; tu as deux jours pour faire tes sacrifices. » Le bon missionnaire n’osa refuser l’épreuve, espérant bien peu, il est vrai, un miracle. Il passa les deux jours en prières sans succès, et le jour suivant les koudjour commencèrent leurs grotesques cérémonies. Avant le coucher du soleil, par le hasard le plus disgracieux, toutes les écluses du ciel semblèrent s’ouvrir. « Vous comprenez bien, disait ingénument le bon prêtre, qui était la sincérité même, qu’après un fiasco de cette force il ne me restait qu’à partir au plus vite. » Cet homme de bien est mort vers 1853. Il fut enseveli au village d’Ulibo, et non au cimetière de la mission qui venait de se fonder à une lieue de là, à Gondokoro. J’ai visité en janvier 1861 un petit terrain de quelques toises carrées, couvert de chardons, où il a été enseveli.

Certains renseignemens qu’il avait donnés aux marchands européens de Khartoum sur un fleuve qui baigne le pays des Bery suggérèrent à un traitant maltais, M. Debono, l’idée de remonter le Saubat, unique affluent de droite du Fleuve-Blanc, jusqu’au point atteint par Angelo, et en 1856 il s’engagea bravement avec un nombreux équipage dans ce fleuve encaissé par de