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les lacs de l’Italie, ceux du Jura français, de la Savoie, et leur contingent de matériaux historiques s’augmente sans cesse. Dans les seules limites de leur patrie, ils ont découvert sous la surface des eaux les restes de cent cinquante villages, et il ne se passe pas de saison qu’ils n’en signalent de nouveaux. Déjà les villes importantes de la Suisse et plusieurs savans peuvent offrir à l’étranger des musées archéologiques renfermant des milliers de débris antiques. On a retiré vingt-cinq mille objets environ de la seule bourgade aquatique de Concise, située dans le lac de Neuchâtel, et l’on pourrait peut-être y faire une récolte plus abondante encore, puisque la couche historique étendue au fond du lac a une puissance de plus d’un mètre.

On conçoit facilement la principale raison qui portait les anciennes populations de l’Helvétie à établir leurs constructions sur les bas-fonds des lacs. Avant l’époque romaine, les vallées des Alpes étaient couvertes d’immenses forêts que parcouraient l’ours, le loup, le sanglier, l’urus et d’autres animaux redoutables, et, la guerre sévissant parfois entre les tribus éparses, l’homme était encore plus à craindre que les bêtes féroces. Le premier soin de chaque groupe de familles était donc de se mettre à l’abri contre une attaque inopinée en se campant dans un endroit défendu par des obstacles naturels. En pays de montagnes, les uns devaient choisir des promontoires environnés de précipices, d’autres se réfugiaient dans les grottes profondes ouvertes sur les flancs des rochers à pic, et fortifiaient l’entrée de leurs demeures souterraines. Dans les plaines arrosées, ils prenaient pour campement les péninsules formées par le confluent de deux rivières ou par le développement d’un méandre. Enfin ceux qui habitaient une contrée parsemée de lacs, comme la Suisse ou la Savoie, quittaient la terre ferme et bâtissaient leurs cabanes au milieu des eaux, à une certaine distance du rivage. C’était là le plus sûr moyen d’éviter une attaque imprévue ; grâce à leurs canots, ils avaient l’avantage de pouvoir se transporter sans peine sur tous les points de la côte ; en même temps, ils se servaient de leurs cabanes comme d’établissemens de pêche. Peut-être, en choisissant la surface des lacs pour leur séjour, obéissaient-ils aussi à cet invincible attrait qui amène les peuples enfans vers les eaux. À toutes les époques de l’histoire et dans toutes les parties de la terre, les besoins de la défense et les facilités de la pêche, joints à cette irrésistible séduction exercée par la beauté des lacs, ont déterminé de nombreuses peuplades à établir au-dessus des flots leurs demeures, bâties en branches ou en joncs. Quelques bas-reliefs assyriens nous montrent des hommes habitant des îlots artificiels formés au moyen de grands roseaux entrelacés. D’après Hippocrate,