Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du travail. En effet, certaines localités, telles que Moosseedorf, Obermeilen, Concise, offrent une si grande profusion d’instrumens, les uns terminés, les autres simplement ébauchés, qu’on doit prendre ces bourgades pour de véritables lieux de fabrique. Elles étaient les cités industrielles de cette époque, et chacune possédait une spécialité particulière qui supposait un système considérable d’échanges entre les divers centres de production. Il devait exister aussi un commerce important avec les pays lointains, car on a trouvé sur les emplacemens lacustres un grand nombre de substances étrangères à la Suisse. Les roches des montagnes voisines, les bois de cerf et les ossemens des animaux sauvages servaient, il est vrai, à la fabrication de presque tous les instrumens ; mais les armes de jet faites en silex ne pouvaient provenir que des Gaules ou de la Germanie. D’échange en échange, les lacustres recevaient le corail des peuples de la Méditerranée, ils achetaient l’ambre jaune aux riverains de la Baltique, importaient des contrées d’Orient la néphrite précieuse. Les savans qui croient à l’origine asiatique de tous les peuples peuvent admettre que les lacustres avaient eux-mêmes apporté de l’Asie une quantité considérable de néphrites ; mais comment avaient-ils pu obtenir le silex, l’ambre et le corail, si ce n’est par le commerce ? Les peuples chasseurs ne craignent point les voyages qui doivent durer des semaines et des mois. C’est ainsi qu’avant l’arrivée des Européens, les Indiens des grands lacs étaient en relations constantes avec ceux du Bas-Mississipi : soit pour trafiquer, soit pour former des alliances contre des ennemis plus rapprochés, ils entreprenaient sans peur de prodigieuses marches à travers les savanes, les forêts et les grands fleuves.

Si leurs connaissances agricoles, leur industrie et leur commerce étendu étaient de nature à relever dans l’échelle des races ces populations primitives, qu’on serait au premier abord tenté de croire assez peu développées, leur religion, c’est-à-dire la plus haute expression de leur génie, rendait aussi un bon témoignage en leur faveur. Comme les Celtes, les lacustres semblent avoir adoré la Divinité dans la libre nature, sur les hautes collines, sous l’ombrage mystérieux des arbres, à la surface des flots ou bien encore au pied des blocs erratiques qu’ils prenaient sans doute pour des pierres tombées du ciel. La plupart des archéologues n’hésitent pas à leur attribuer l’érection d’un grand nombre de menhirs et d’autres pierres improprement désignées sous le nom général de pierres druidiques. Les tombelles les plus considérables de la Suisse appartiennent également au premier âge, car elles ne renferment jamais d’autres débris que ceux de l’industrie primitive, sans aucune trace de métal. Cette grande élévation des tombelles, qui mesurent souvent de 10 à 20