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de repère dont l’âge soit connu et permette d’évaluer approximativement la marche des alluvions. Ce point existe dans la vallée de l’Orbe : c’est la dune qui porte les ruines de l’antique cité gallo-romaine d’Eburodunum. Entre la dune et le lac, sur l’espace occupé en partie par la ville d’Yverdon, on ne retrouve aucune trace d’antiquités romaines, et l’on doit en conclure qu’au commencement de notre ère le rivage du lac était beaucoup plus rapproché du pied de la dune. En admettant que ses eaux baignassent encore les murs du castrum eburodunense, il aurait fallu quinze siècles au moins pour la formation de la zone de 800 mètres de large qui s’étend entre les ruines et la rive : mais il est très probable que le recul des eaux n’a pas été aussi rapide, car le nom celtique d’Eburodunum témoigne en faveur d’un établissement plus ancien que celui des Romains. Cependant, si nous acceptons pour point de comparaison ce chiffre de quinze siècles, évidemment trop faible, nous voyons qu’une autre période de dix-huit siècles aura été nécessaire pour le comblement de l’espace de 1,000 mètres qui sépare la dune d’anciens pilotis situés au sud, à la base du monticule de Chamblon : ainsi nous sommes ramenés au XVe siècle avant notre ère. C’est au plus tard à cette époque, et peut-être bien longtemps auparavant, que la bourgade lacustre de Chamblon, envahie par la tourbe et les alluvions de l’Orbe, dut être abandonnée de ses habitans. Afin d’arriver à l’époque de la fondation, il faut encore remonter le cours des âges et ajouter quelques siècles pour le comblement du détroit qui séparait la bourgade de l’ancien rivage, encore facilement reconnaissable au pied du monticule isolé. Tout en avouant que ces chiffres n’offrent rien d’absolu, M. Troyon est conduit à fixer à deux mille ans avant l’ère chrétienne la construction des habitations lacustres de Chamblon par les colons primitifs de l’Helvétie. On pourrait objecter peut-être que le niveau du lac a pu baisser considérablement pendant les âges historiques et laisser à sec la plaine marécageuse d’Yverdon ; mais l’ancienne plage est située exactement à la même hauteur que la plage actuelle : le niveau du lac est donc resté le même pendant les quarante derniers siècles de l’histoire.

Le résultat auquel l’examen des couches alluviales de la vallée de l’Orbe a conduit M. Troyon est, ce nous semble, un des plus grands triomphes de la géologie. Cette science, qui nous avait enseigné déjà l’âge relatif des plantes et des animaux fossiles de notre globe, sert maintenant à déterminer la chronologie délicate des races d’hommes qui se sont succédé sur la surface de la terre. Là où manquent les monumens historiques et les témoignages écrits, là commence le rôle du géologue. Il explore ces couches déposées par