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que les événemens terrestres étaient guidés par deux lois, celle de la matière, loi de nécessité, et celle des intelligences, loi de liberté. Or tout être animé, même l’insecte le plus insignifiant, peut, par un acte de sa volonté, interrompre la loi de nécessité qui régit la matière, et il agit à son tour sur les intelligences, sans gêner pour cela leur liberté ; qu’est-ce qui empêche donc les intelligences ou l’intelligence supérieure à l’homme d’agir au milieu de la nature, d’exercer à son tour sur l’homme une action matérielle, comme peut le faire l’intelligence inférieure à l’homme, sans pour cela troubler la liberté ? Ce troisième système d’action, auquel le monde serait soumis, expliquerait non-seulement les miracles, mais la Providence et les prières ; elle réconcilierait ce qui m’avait toujours paru une contradiction, l’action de la Divinité et la liberté de l’homme. » C’est à propos d’une de ces pensées spiritualistes, mystiques même, apparues tout à coup comme un éclair, que Diderot écrivait à son ami : « Gardez-moi le secret, on me croirait fou. » Sismondi ajoute simplement : « Il reste bien du louche dans cette idée, mais il vaut la peine de l’approfondir. »

Certes l’homme qui exprimait son amour de la vérité religieuse avec une ingénuité si touchante, l’homme qui se préoccupait si naïvement des moyens de la découvrir et d’en donner la preuve, avait rompu depuis longtemps avec la routine voltairienne. Ses amis cependant n’avaient pas le secret de ses pensées, et ce travail intérieur s’accomplissait silencieusement. Aussi, chaque fois qu’une occasion publique en laissait voir quelque chose au dehors, la surprise était grande. Sismondi en 1826 publie à Paris, dans la Revue Encyclopédique, trois articles importans sur les progrès religieux du XIXe siècle ; aussitôt le vieux Bonstetten, l’aimable, le frivole, l’incorrigible Bonstetten, est persuadé que Sismondi a renié ses croyances libérales, et comme cette conversion attristerait sa vieillesse toujours plus jeune et plus moqueuse, il s’abstient de lire jusqu’au bout l’ouvrage de son ami. « M. de Bonstetten, écrit Sismondi, s’est arrêté dans la lecture de mes Progrès religieux, parce qu’il a cru voir que je tournais au méthodisme. Il est curieux de constater à quel point tous ces débris de la secte de Voltaire ont horreur du seul nom de religion. » Ainsi, parce qu’il développait dans tous les sens son libéralisme fécond, parce que la libre méditation des choses humaines le ramenait à ces croyances dont l’avait éloigné un dogmatisme hautain, parce qu’il soupçonnait d’instinct quelques-unes des vérités si nettement établies plus tard sur l’alliance nécessaire de la religion et de la liberté, on le croyait infidèle à ses principes. C’était le moment au contraire où il les appliquait avec le plus de vigueur. Nous savons aujourd’hui, surtout par l’enseignement de