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d’Angleterre, fils de l’amiral Lyons qui commandait la flotte anglaise à Sébastopol. C’est un homme très aimable, à la physionomie fine, aux manières distinguées. Sa conversation est spirituelle et même maligne.

8 août. — À cinq heures du matin, nous sommes sur pied ; escortés d’un piquet de cavalerie, nous partons pour l’armée du sud, cette fois tout de bon.

À Alexandrie, le général Mac-Dowell nous fait donner des chevaux d’artillerie qui enlèvent nos voitures d’une autre façon que les rosses de louage. Nous n’arrêterons que pour déjeuner à Fairfax. La route est détestable, raboteuse, coupée d’ornières profondes. Nos cochers noirs préfèrent prendre les fossés, qui sont larges et plus carrossables. Il fait très chaud dans ces grandes forêts d’arbres résineux. On traverse des campemens qui semblent abandonnés de la veille ; les écuelles et les bidons sont rangés en cercle sur l’herbe desséchée, quelques marmites sont restées pendues aux crémaillères de branchage. La soupe y est probablement encore, tant ces bivacs ont été abandonnés précipitamment.

À dix heures, nos cavaliers de l’Union, en chapeaux noirs à la Henri IV, font halte devant une belle nappe d’eau claire et argentée, retirent leurs longs gants à la Crispin et boivent avec leurs chevaux essoufflés. D’Alexandrie à Fairfax, il y a loin, et l’appétit se faisait déjà sentir. Voici de l’eau, une habitation, de l’ombre, une pelouse verte, et nous avons un panier de provisions. Si nous déjeunions ici ? Mais la majorité n’a probablement pas faim, on remonte en voiture. Les cavaliers de l’Union qui nous escortaient nous précèdent maintenant, avec un parlementaire porteur d’un fanion blanc en tête de l’escouade. Ils nous font avaler des torrens de poussière ; est-ce là tout le déjeuner de la minorité affamée ? Non ; la Providence veille sur nous sous la figure d’un nègre qui, de derrière une haie, nous fait des signes et des airs tendres en nous montrant un énorme panier de pèches : Good peaches ! good peaches ! — Oui, oui, bon Tom ! Nous lui achetons panier, pêches, galette de maïs arrosée d’excellent lait. — Bon nègre, fort intelligent. — Nous dévorons joyeusement, et nous rattrapons la première voiture.

Voici les derniers avant-postes de l’armée du nord. Nous devons rencontrer l’ennemi d’un instant à l’autre. Nous sommes sur un terrain neutre, parfaitement ravagé quand même. À droite, une usine brûlée ; les machines sont éparses au milieu des décombres et des herbes, qui déjà repoussent avec rage dans la cendre. Une voie ferrée, celle d’Alexandrie à Warenton, traversait la route en cet endroit ; les talus en sont complètement éboulés, et les rails plongent dans un ravin au fond duquel murmure un petit torrent. À