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indiquait à ses hommes le dessin. Entourée de tous côtés par des branches artistement entrelacées, cette tente se trouvait ainsi jouer le rôle d’une discrète alcôve où le digne capitaine goûtait des sommeils inconnus à la paupière des plus grands rois.

Tandis que cette cité nomade se construisait comme par enchantement, les spahis achevaient leur tâche, et rejoignaient les compagnons qu’ils étaient venus si à propos seconder, ils rentraient au pas de leurs chevaux, apaisés et satisfaits comme eux, dans le camp qui s’était dressé pendant leur absence. Il était cinq heures; le soleil commençait à cacher son front sous son manteau de pourpre en jetant à la terre, comme adieu, ces poignées de rayons d’or qui sont ses largesses journalières aux pays qu’il aime. Une atmosphère chaude et transparente, où l’âme et les yeux goûtaient d’indicibles jouissances, enveloppait le bivac. Sur le seuil des tentes, les soldats, réunis pour manger en ces petits groupes qu’ils appellent des tribus, offraient, malgré leur modeste nourriture, un aspect gaîment pantagruélique. La bonne humeur respirait sur tous les visages, les traces du combat à peine fini étaient complètement effacées. Les hommes qui prenaient part à ces joyeux repas ne songeaient point au repas sinistre qu’à quelque distance d’eux les vautours allaient prendre dans les ténèbres en s’abattant sur les cadavres de leurs camarades. Ils avaient tous ces tenues au laisser-aller excentrique qui sont en campagne la joie du soldat. Les capotes étaient mises de côté; elles se prêtaient aux charmes du festin, ou elles jouaient le rôle du lit antique dans les fêtes chantées par Horace. Les convives se montraient avec ce pantalon en toile dans les parties destinées habituellement à être couvertes, et en drap garance dans ce qui se produit au jour. Les képis étaient pour la plupart placés sur les têtes dans un ordre inverse ; ils protégeaient de leurs visières inutiles des cous hâlés et laissaient l’air du soir rafraîchir des fronts brûlés par la chaleur du jour. Tout enfin dans le bivac de Serpier, les hommes et les choses, avait un aspect de détente et de bonhomie. Cet aspect prêtait à l’entrée des spahis un caractère singulièrement piquant.

Ces cavaliers tout à l’heure si impétueux, mais prompts à passer comme tous les Arabes de l’excès du mouvement à celui du calme, s’avançaient solennellement, immobiles et droits sur leurs chevaux, dans les plis de leurs manteaux rouges; mais leurs visages, en dépit de cette gravité, indiquaient une satisfaction profonde. Chaque spahi portait, outre ses armes, quelques objets qui dénonçaient l’heureuse issue de son excursion. C’étaient des yatagans, des fusils, même des engins beaucoup moins belliqueux. L’Arabe après une victoire ne veut point regagner sa tente les mains nettes, et il ne rejette rien de ce qui se trouve à la portée de ses doigts. Mais le