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l’anniversaire d’un événement par lequel son diocèse fut victorieusement défendu contre l’invasion d’une secte opposée ; mais un évêque, surtout un évêque de notre temps, n’aurait pas dû oublier que, s’il y avait dans ce fait un triomphe pour sa foi, il s’y mêlait aussi les plus horribles scènes d’une guerre civile. Célébrer de notre temps, sans retour affligé sur les malheurs et on peut dire les crimes qui l’accompagnèrent, le souvenir d’une scène de guerre civile, c’était commettre une déplorable erreur. L’archevêque de Toulouse, tout en promulguant son jubilé et en ordonnant sa procession, n’eût-il pas dû indiquer, même au point de vue chrétien, le progrès accompli depuis trois siècles ? N’eût-il pas dû, tout en se réjouissant de la victoire demeurée en France à la cause catholique, se féliciter aussi de cet esprit plus humain qui a pénétré les diverses croyances chrétiennes, et qui dans leurs luttes a mis les armes de la discussion et de la persuasion à la place des sanglantes violences d’une autre époque ? Une parole de tolérance eût-elle en cette occasion été déplacée dans une bouche épiscopale et chrétienne ? Quant au triste caractère des journées de Toulouse, des récits contemporains, des écrits catholiques nous l’ont conservé vivant dans son horreur. Et quel historien plus énergique eussent-elles pu avoir que ce terrible capitaine du xvie siècle. Blaise de Montluc, enveloppant de bonne humeur gasconne la férocité d’un routier ? C’était au début de la première de nos guerres de religion. La surprise de Toulouse devait être un des premiers coups de l’insurrection dont le prince de Condé donna le signal d’Orléans. Montluc, averti du dessein des huguenots sur Toulouse, y envoya ses compagnies et y entra lui-même. La maison de ville avait été livrée aux protestans par un capitoul. La guerre des rues, comme les révolutions parisiennes de notre siècle, eut ses trois journées. Montluc avait voulu couper d’avance la retraite aux huguenots ; mais les dispositions qu’il avait ordonnées n’ayant pas été observées, l’ennemi lui échappa : « de quoi je fus bien marry, s’écrie le digne homme, qui ne songeait guère aux jubilés et aux mandemens dont son action deviendrait le prétexte, — car s’ils m’eussent attendu, il ne s’en fust pas sauvé un c…, et Dieu sait si j’avais envie d’en faire belle depesche et si je les eusse espargnez. » Les huguenots prisonniers furent exterminés. « Et ne vis jamais, dit Montluc en gaîté, tant de testes voller que là. » Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’il fallut presque autant d’efforts pour défendre Toulouse contre les bandes catholiques qui saccageaient les maisons de leurs coreligionnaires qu’on avait dû en faire pour déloger les rebelles. Montluc fut obligé, de peur du pillage, de faire fermer les portes de la ville aux bandes du comte de Saint-Paul et de M. de Lamezan. Il n’était même pas maître de ses hommes, et pour rétablir l’ordre dans la ville, il ne trouva pas d’autre moyen que de l’évacuer. On le voit, c’est bien plus par des expiations que par des glorifications que la religion peut sanctifier de tels souvenirs.

Quand l’image de l’intolérance dans le passé s’impose ainsi à notre mé-