Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/1024

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne faudrait pas toutefois que dans l’Europe occidentale, chez les peuples aux sympathies desquels le Danemark a droit, on se laissât détourner par ennui de la résistance que ce petit état Scandinave oppose avec une modération courageuse aux querelles de procureurs que ses voisins lui cherchent sans cesse. Au surplus, le Danemark ne se défend pas seulement par d’imperturbables notes diplomatiques. Il tient ses arméniens en état. Le voilà, lui aussi, qui avec une placide résolution fait son profit du duel du Merrimac et du Monitor, et s’apprête à cuirasser sa flotte.

Le combat des deux navires bardés de fer, cette première expérience de la lutte des vaisseaux blindés, n’a pas seulement été le dernier et l’un des plus remarquables incidens de la guerre américaine ; il a été pendant huit jours la grande préoccupation de l’Europe. Pour l’Angleterre, où tout va par courans impétueux d’opinion, où l’on n’a jamais deux affaires à la fois, où l’émotion dominante devient tout de suite l’émotion absorbante et exclusive, le choc des deux navires à armures métalliques a donné lieu à toute sorte de harangues, de déclamations de presse, de controverses techniques, de cris d’alarme, de critiques, d’exagérations, enfin d’expériences où l’artillerie a essayé sa puissance sur les plaques de fer. Ces dernières expériences paraissent avoir rendu aux Anglais le sang-froid et la raison. Elles ont prouvé que l’artillerie battra sa concurrente, l’armature de fer, et qu’il n’est pas de système de plaques pouvant se concilier avec la sécurité et la bonne navigabilité des vaisseaux qui ne puisse être traversé par des boulets d’un certain calibre. S’il n’y a pas de bouclier possible contre le canon, on doit convenir qu’il y aura beaucoup à rabattre un jour sur les mérites des escadres de fer, et que l’alchimie à laquelle est aujourd’hui en proie l’art de la guerre aura plus servi peut-être à dévorer les ressources des peuples modernes qu’à changer entre eux l’équilibre des forces.

Quoique la rencontre décisive entre l’armée du Potomac et l’armée confédérée, de laquelle on attend le dénoûment de la guerre civile américaine, n’ait point eu lieu encore, les chances de la guerre n’ont point cessé de se prononcer pour la cause fédérale. L’armée du général Mac-Clellan continue à s’avancer dans la Virginie, l’armée confédérée battant toujours en retraite. Jusqu’où cette retraite sera-t-elle poussée ? Il est probable que les confédérés ne regardent plus comme sûr pour eux de livrer bataille au sein des border-states, où à mesure que les fédéraux s’engagent davantage, de nombreuses adhésions à l’union se manifestent. Si les confédérés évacuent les border-states et rentrent dans les états vraiment méridionaux, dans les gulf-states, comme disent les Américains, la campagne actuelle ne verra pas la fin de la guerre, et il n’est pas probable que l’armée du nord aille chercher si loin ses adversaires. Si au contraire le général Mac-Clellan parvient à les joindre, s’il les force à accepter la bataille, s’il les bat, les fédéraux pourront aisément s’emparer des ports du sud, et étoufferont la rébellion en lui fermant toute issue. Quoi qu’il en soit, la prépondérance des