en me voyant sauvé. Je n’aurais pas été mieux choyé dans ma propre famille.
Comme après des insomnies agitées dont je ne m’étais pas rendu compte j’éprouvais un grand besoin de sommeil, on se tenait dans une pièce voisine dont on avait fait une espèce de parloir, et quand je commençai à observer et à comprendre, je vis avec attendrissement que la marquise apportait là son ouvrage, ses livres, son enfant, et qu’une grande partie de la journée m’était consacrée de moitié avec le baron. Elle lui faisait la lecture ; lui ensuite donnait à Paul de bonnes et sérieuses leçons. Le baron était grand latiniste, très érudit, très patient et très clair dans son enseignement. Il avait fait lui-même l’éducation d’un neveu charmant qu’il avait eu la douleur de perdre. Il prétendait, sinon faire celle de Paul, du moins la commencer et la continuer autant que les circonstances le permettraient. Cela venait très à propos, car j’avais échoué dans mes tentatives pour amener là un précepteur digne de sa tâche. Cependant ni les lectures ni les leçons n’empêchaient qu’à chaque instant on n’entrât dans ma chambre. Chacun tour à tour venait me faire boire ou s’assurer de l’égalité de température autour de moi. Le gentil Paul réclamait souvent l’office de garde-malade, car il n’avait pas encore une grande soif d’études classiques.
Quand je fus en état de causer, chacun vint passer une heure avec moi. Pasquali tenait plus longtemps la place dans la journée, disant aux autres qu’ils eussent à travailler sans s’inquiéter de lui, qui n’avait rien à faire. L’excellent homme, en me sacrifiant sa pipe et son batelet, faisait pourtant une grande chose. Enfin je pus me lever et vivre un peu au salon avec ces généreux amis. Il m’était prescrit et je sentais bien devoir me prescrire à moi-même de ne pas m’exposer à l’air extérieur avant une semaine encore : le temps passant du mistral au vent d’est et réciproquement avec opiniâtreté, la chaleur du printemps ne se faisait pas. J’étais très calme, soit que la maladie m’eût beaucoup affaibli, soit que le sacrifice de ma passion fût accompli sérieusement ; je voyais la marquise sans trouble pénible et je lui parlais sans effort. J’avais pourtant lieu de m’étonner de ce que, par le menu, on m’avait appris.
Durant ces trois semaines qui venaient de s’écouler. Mlle Roque avait fréquenté assez régulièrement la marquise. La Florade ne s’était pas présenté chez cette dernière ; mais on s’était rencontré chez Pasquali d’abord, chez le baron ensuite, car le lieutenant étant venu me voir durant la période la plus grave de ma maladie, mon vieux ami l’avait accueilli paternellement et engagé à revenir le plus possible. La Florade plaisait au baron : à qui ne plaisait-il pas ? Il savait mettre tout son cœur sur sa figure et dans sa parole. On m’expliquait tout cela du ton le plus naturel ; mais il y avait quel-