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six mille lieues à toute vapeur

choir vient d’abord de ce qu’ils sont morts, ensuite de ce que la terre légère ne maintient pas fortement dans le sol les racines rampantes de diverses espèces de tilleuls, d’érables, de chênes, d’ormes et de trembles ; mais les noyers et surtout les pins à racines pivotantes se rompent sans venir avec le terrain.

Le silence de ces sombres forêts est solennel. De temps à autre, un léger souffle de vent passe dans les hautes cimes et s’exhale comme une plainte qui mourrait dans un jeu d’orgues. Une grosse branche sèche qui casse comme un coup de pistolet tombe à mes pieds. Je cherche la cause de cette brutalité. Cette cause est bien légère : c’est un ménage d’écureuils qui se poursuivent follement et volent, plutôt qu’ils ne sautent, bien haut dans la verdure. Ici tout résonne comme dans un intérieur d’église. Un frôlement dans un tas de feuilles sèches prend une importance qui n’est pas en rapport avec la souris ou l’insecte qui l’a produit. Je fais plus de tapage à moi tout seul en grattant, épluchant les écorces, brisant sous mes pieds les grandes branches dont le bout se redresse d’un air menaçant du milieu des mousses à trente pas devant moi, que n’en ferait un troupeau de pécaris.

Il me semble entendre dans le lointain la cognée d’un bûcheron. L’idée que ce bel endroit est déjà entamé par la main de l’homme m’attriste et m’encolère. Le bruit se rapproche ; c’est un pic noir et blanc à tête et collier rouges, qui de son bec frappe les écorces pour chercher les larves de coléoptères. Sa présence me calme et me réjouit. Il a le droit de travailler, lui, ce bel oiseau qui fait, on le sait maintenant, plus de bien que de mal aux arbres, puisqu’il ne les creuse que pour les débarrasser des insectes destructeurs. Il semble deviner mes bonnes intentions à son égard, car il ne s’effraie pas de me voir et poursuit tranquillement au-dessus de ma tête ses recherches et son travail.

Ma chasse aux serpens a été fructueuse. J’en ai tué cinq, dont trois munis de crocs venimeux. Pas de crotales. Sous les souches pourries, une salamandre noire à longues lignes rouges, un ravissant lézard à reflets métalliques, bleu rayé d’orange, des crapauds verts finement marquetés de rouge. D’autres sont couleur abricot à reflets bleus et trottent comme des rats. En entomologie, je n’ai vu voler qu’un grand papillon noir aux ailes bordées de jaune ; les lichénées (Epione et Parta) à ailes inférieures noires, quelques noctuelles ; une phalène Dentaria, et le polyommate Phlœas, semblables à ceux de France. Beaucoup de chenilles de chélonide à poils noirs, raides et courts qui laissent apercevoir le velours rouge de leur peau ; d’autres à crins roux, tête et queue noires, très communes, ainsi que de grands mille-pattes jaunâtres fort laids (Iulus