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même des cours, qu’on force tout propriétaire à s’approvisionner d’eau. C’est de la santé et de la propreté obligatoires, sans parler d’une assez large intervention des pouvoirs collectifs défrayée par l’impôt, d’un véritable communisme officiel. J’appelle ainsi les taxes auxquelles les habitans peuvent être soumis pour jardins publics, bibliothèques publiques, musées publics. Il y a de tout dans le budget d’un bourg, même des fonds secrets. À vrai dire, je ne trouve qu’un exemple de fonds secrets, et encore qui ne passe pas 10 livres sterling : un service, une mauvaise action, qui en tous cas n’a pas coûté cher.

Enfin, pour dernier trait, une matière fort considérable en tout pays industriel, — celle des ateliers insalubres, qui donne fort à faire chez nous à toute la hiérarchie administrative, où le chef du gouvernement lui-même ne procède en certains cas que le conseil d’état entendu, — est réglementée absolument par les conseils municipaux.

Deux choses toutes modernes ont créé ces pouvoirs en ce qu’ils ont de hardi et de compréhensif. L’une est le développement des villes, où plus de contact engendre plus d’occasions de nuire et plus de disciplines nécessaires ; l’autre est le développement des idées de comfort, de propreté, de décence, chaque jour plus exigeantes et plus raffinées, lesquelles rencontrent bien sur leur chemin l’aversion innée des Anglais pour le règlement, mais ne laissent pas que d’en triompher par une aversion acquise et encore plus forte, celle du nauséabond, du scandaleux, de l’immonde, du saugrenu. On voit ici dans tout son jour une des lois les plus frappantes du monde moral, savoir le progrès de la puissance publique parallèle au progrès de la société. Il y a en effet un progrès de la société en tout ceci, et même un progrès de quelque valeur morale, une certaine addition aux codes et aux commandemens les plus connus. Il s’agit de ne pas infecter son prochain, de ne pas le dégoûter moralement, de ne pas l’empoisonner, soit quand il respire, soit surtout quand il croit être logé et nourri. Il s’agit même de lui procurer l’espace, le jour, l’air, les récréations de la vue et de l’esprit. Un budget où apparaissent de tels articles de dépense n’accuse pas moins qu’un respect croissant de soi-même et d’autrui, un plus haut sentiment parmi les hommes de ce qu’ils valent et de ce qu’ils se doivent les uns aux autres. On peut même croire, mais en y allant avec infiniment de circonspection, que plus de décence signifié plus de moralité, et que le soin des dehors suppose la qualité, la réalité du fond.

La preuve au surplus que ce progrès moral n’est pas la fantaisie de quelques-uns, c’est qu’il est défrayé par tous, et chèrement. Le montant des taxes municipales directes perçues à Liverpool s’élève à 21 pour 100 du revenu imposable, ce qui ne dispense pas l’habitant