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Le plus grand des malheurs de l’Italie, la dépendance de l’étranger, ce malheur déploré si énergiquement par ses publicistes et par ses poètes, par Machiavel et par Filicaja, apparaît aussi sous toutes les formes, sérieuses ou ironiques, dans les chants populaires :


« Quand clone finira la déplorable habitude — de fermer l’étable quand les bœufs sont sortis ? — Nous semons le grain en abondance, — mais ce n’est pas nous qui le mangeons. — Il vient des gens du levant et du couchant, — et il ne reste rien pour celui qui a semé. — Il en vient du levant et du couchant, — et chacun commande dans notre maison. — Il en vient avec des queues (les Allemands) et avec des moustaches (les Français), — et nous sommes insultés jusque dans notre propre maison. — Nos champs, nos vendanges et nos filles — ne sont pas à nous, mais à qui les veut… »


C’est avec moins d’amertume et plus de gaieté que la muse populaire raillait, au XVIIe siècle, ces Allemands et ces Français qui s’abattaient sur l’Italie pour boire son vin et faire la cour à ses femmes, et surtout sur la manie anti-nationale des Italiens qui adoptaient les modes étrangères. Déjà Alione d’Asti, auteur franco-piémontais qui vivait sous Louis XII, avait exprimé des idées analogues dans ce langage italianisé que nos soldats rapportèrent en France.

À la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, le contrecoup des événemens qui se passent en France se fait sentir en Italie par des plaintes amères. Ce sont d’abord les mesures exceptionnelles qui froissaient à la fois les Italiens dans leurs intérêts matériels et dans leurs croyances religieuses. « Maudites soient les lois révolutionnaires ! dit une chanson corse ; les jeunes filles meurent aujourd’hui sans que les cloches sonnent pour elles. » Ensuite vient la conscription, cet impôt du sang, si lourd en France, et qui pesait encore plus lourdement sur les pays conquis. Aussi voit-on souvent revenir dans les griefs de l’Italie la coscrizione, usage barbare et maudit au nom duquel on enlevait aux femmes leurs fils et leurs amans. Voici les adieux d’un conscrit milanais à tous les siens : « Adieu, mon père ; adieu, mes sœurs ; adieu, mes amis, vous ne me verrez plus. Je lève les yeux au ciel, je vois briller les étoiles et je me demande quelle sera celle qui priera pour moi ; mais il ne sert à rien de soupirer et de gémir : je suis requis, il faut marcher. » Une autre chanson milanaise dépeint les pauvres filles « qui se lèvent le lundi matin pour aller à la porte del Sempione regarder partir les troupes, et qui font pitié à voir. « Un stornello toscan mêle une plaisanterie à ses plaintes. » Napoléon, prends garde à ce que tu fais : tu enlèves le meilleur de notre jeunesse. Sois plus juste : fais la conscription des filles, prends les belles, et laisse les laides. »

Quant à ces chants qui renferment le récit d’une aventure historique ou romanesque, connus dans le Nord sous le nom de ballades,