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inspiration et qu’on n’oublie pas une fois qu’on les a entendus. Ainsi quand l’époux redemande à sa femme ce qu’elle a fait de ses anneaux de mariage, celle-ci déjà mourante lui répond : « Prenez la clé de mon coffret, et vous les y trouverez. — À peine eut-il saisi le coffret — que les deux anneaux faisaient din din. »

Au bel druviend el so cofonio,
I doj anlin fasio din din.

La vieille romance de Clotilde se retrouve également, à l’état de chant populaire, dans la Lozère et en Piémont. La chanson du Haut-Languedoc, les Trois Capitaines, dont la ballade bourbonnaise, la Jeune Fille de la Garde, n’est qu’une variante, est identique, pour le fond et pour la forme, à la canzone piémontaise que Marcoaldi intitule la Fuite et le Châtiment. Enfin les Etudians de Toulouse, que MM. Mila-Fontanals et Nigra ont signalés en Catalogne et en Piémont, sont certainement un vieux chant français, épisode oublié chez nous des annales de notre université toulousaine, et qui s’était répandu au loin à l’époque où le midi de la France était en communauté plus intime de mœurs et de langage avec le nord de l’Espagne et de l’Italie.

De pareils rapprochemens entre les chants des deux pays sont d’autant plus utiles qu’il arrive pour ces compositions de courte haleine ce que l’on a observé pour quelques-uns de nos grands poèmes chevaleresques, tels que Floovant, la Reine Sebille, etc., qui, perdus chez nous, ont été conservés en Italie dans les Reali di Francia ou ailleurs. M. Nigra a recueilli de la bouche d’une jeune bergère du Canavese, dans une partie de chasse, la belle canzone intitulée la Guerriera, et, pour le dire en passant, le récit de cette double chasse au lièvre et à la chanson est devenu, sous sa plume, un petit tableau plein de grâce et de fraîcheur. Il s’agit d’une jeune fille qui se déguise en homme et part pour la guerre à la place de son père. Elle est soumise à plus d’une épreuve que lui attirent sa beauté et les soupçons de ses compagnons d’armes ; mais elle en sort victorieuse, et cette autre Jeanne d’Arc peut s’écrier à la fin :


Verginella sono stata a guerra
E verginella ne son tornata.


À travers les nombreux parallèles que M. Nigra emprunte à l’Espagne, au Portugal, à la Serbie, à la Grèce, à la Russie, et malgré les arrangemens modernes qui font de la guerrière du moyen âge, payant la dette féodale de son vieux père, une fille-dragon moderne, remplaçante vulgaire de son père ou de son amant[1], malgré

  1. « J’ai servi sept ans, — sept ans Napoléon, — et personne n’a reconnu la fille, — n’a reconnu la fille-dragon, » selon une variante du Montferrat.