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furent les premières formes que revêtit l’expression des sentimens tendres, avant qu’on n’y substituât l’octave ou le sixain du rispetto, avec l’accompagnement du chant ; mais il est probable que cette dernière manifestation, plus naturelle et plus libre, coexista avec le cadre artificiel qui eut gêné la poésie populaire. Les génies qui ont cultivé le sonnet et la canzone ont bien pu éclipser, mais non supprimer les humbles chansons des amoureux vulgaires, où l’on retrouve quelques-unes des beautés poétiques qui brillent dans ces autres compositions magistrales, sans qu’on puisse toujours dire lequel a emprunté à l’autre, de l’art devenu nature, ou de la nature qui s’élève parfois à la hauteur de l’art.

Parmi ces formes favorites de la chanson amoureuse, il faut placer au premier rang le rispetto, originaire de la Toscane, mais qui se retrouve dans presque toute l’Italie, soit qu’il conserve cette dénomination, soit que, chanté dans certaines circonstances, à certaines heures de la journée, il prenne les noms de strambotto, de salute, de maggio, alba, serenata, etc. Le rispetto, dont nous avons déjà décrit le rhythme, est un chant d’amour composé d’un petit nombre de vers qui se déroulent autour d’une idée unique, et dont les derniers reprennent ordinairement la pensée dominante ou le motif principal. C’est presque toujours une femme qui parle, circonstance peu remarquée par les écrivains italiens, bien qu’elle serve à expliquer l’émotion contenue qui respire dans ces petits poèmes, et qui s’allie à une espèce d’adoration respectueuse de l’objet aimé. Les idées de Dieu, de la sanction religieuse du mariage, de la résignation au devoir, y sont presque toujours exprimées ou sous-entendues, et l’on n’y voit guère les amans se passer de l’intervention de la famille, dussent-ils maudire les obstacles qu’elle apporte à l’accomplissement de leurs vœux. Quelquefois ce fond uniforme est relevé par des concetti, des comparaisons, des figures, des plaisanteries même, car le rispetto admet toutes les formes compatibles avec sa brièveté. En voici quelques exemples choisis dans les recueils, de Tommaseo et de Tigri :


« Quand tu passeras par ici, conduis-toi discrètement, — afin que le monde ne dise pas que nous nous aimons. — Baisse les yeux, je baisserai la tête. — Saluons-nous tous deux, mais du cœur. — La fête de chaque saint arrive à son tour : — la nôtre viendra aussi, si nous nous aimons bien. — De chaque saint vient la fête : — viendra la nôtre ; aimons-nous bien ! »

« Dis-moi, mon cœur, comment puis-je faire — pour sauver mon âme ? — Je vais à l’église, et je ne saurais y rester ; — je savais mon Credo, et tu me l’as fait oublier. — Je vais à l’église, et je ne trouve rien à dire, — car ton nom chéri revient toujours à ma pensée. »