Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PÉRICLÈS.

Ou plutôt je suis résolu à jeter mes concitoyens dans une longue guerre, afin d’occuper leurs esprits inquiets.

PHIDIAS.

Seras-tu donc tranquille, tandis que le sang coulera dans les batailles et que l’armée des Spartiates dévastera la plaine d’Athènes ?

PÉRICLÈS.

La guerre est inévitable ; je ne puis que la retarder ou la hâter. Je veux seulement te laisser voir quels soucis et quels projets contraires troublent ce Périclès, dont la sagesse est vantée par les Grecs. Plus je suis maître des autres, moins je le suis de moi-même. L’exercice du pouvoir, au lieu de m’accoutumer à la prudence, me fait supporter plus impatiemment les obstacles.

PHIDIAS.

Le danger que je cours ne doit pas t’émouvoir à ce point. Il est dans l’ordre de la nature que les jeunes générations poussent hors de la scène les générations qui les précèdent.

PÉRICLÈS.

Même avec violence ?

PHIDIAS.

Ce n’est pas la persuasion qui a fait partir Cimon et Thucydide pour l’exil. Que veux-tu ? Nous avons été assiégeans, il est juste que nous soyons assiégés à notre tour.

PÉRICLÈS.

Nous étions plus heureux dans ce temps-là, mon cher Phidias.

PHIDIAS.

La vie la plus heureuse ressemble à un jour d’été. Souriante au matin, radieuse après le midi, elle s’assombrit le soir et incline vers les ténèbres.

PÉRICLÈS.

Le lieu où nous sommes n’inspire que des pensées tristes. J’ai hâte de t’en faire sortir. Dès aujourd’hui je demanderai une enquête. Les trésoriers de la déesse produiront les tables de marbre où sont inscrits leurs comptes ; ils diront quelle quantité d’or ils t’ont remise. La difficulté sera de démonter les vêtemens du colosse pour les placer dans la balance. En ton absence, qui chargerons-nous de ce soin ?

PHIDIAS.

Colotès m’a aidé à construire ma statue ; il en connaît tous les secrets.

PÉRICLÈS.

J’avertirai Colotès. Cette fois, du moins, nous sommes assurés de confondre tes accusateurs. (Il sort. Entre Ménon.)

SCÈNE VI.
PHIDIAS, MÉNON.
MÉNON, il pose à terre une corbeille.

Maître, voici ton repas.

PHIDIAS.

Est-il donc déjà l’heure ?