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SCÈNE VII.
PHIDIAS, seul.

Est-il fou ? ou bien aurait-il… Mes ennemis sont-ils si pressés qu’ils ne puissent attendre ma condamnation ? Peut-être se défient-ils du peuple, peut-être craignent-ils que je ne m’enfuie, à l’exemple d’Anaxagore. Ils ont tort : je suis entré ici, convaincu que je n’en sortirais point vivant. Les choses seraient pour le mieux, si Ménon avait osé me donner du poison. La gloire des Athéniens resterait pure, et la postérité ne dirait pas qu’ils n’ont offert à Phidias d’autre récompense que la mort. Chère Athènes ! quelque traitement que tu infliges à tes enfans, ils ne connaissent pas de supplice plus redoutable que l’exil. Je ne regrette ni les ombrages d’Olympie, ni l’Alphée aux belles eaux, ni les fêtes dont j’étais entouré, ni les chants qui chaque jour faisaient retentir la vallée, ni la liberté dont je ne savais plus jouir. Ma tâche accomplie, j’ai voulu revoir pour la dernière fois la ville à laquelle je n’ai rien préféré si ce n’est la gloire. Même captif, je respire l’air natal ; ce sol que je foule est le sol de la patrie. J’éprouve en ce moment une lassitude profonde et comme une défaillance. Est-ce le poison. qui agit ? est-ce la fatigue qui me dompte ? La chaîne qui attache mes pieds m’a tenu éveillé toute la nuit ; sans doute j’ai besoin de me reposer. Je t’invoque, ô doux charme du sommeil, oubli de tous les maux, image de la mort qui me sourit, (il s’endort.)

SCÈNE VIII.
(Trois Jours plus tard. — Une rue d’Athènes.)
SOCRATE, AGORACRITE.
SOCRATE.

Où vas-tu, la tristesse empreinte sur le visage ?

AGORACRITE.

Ne m’arrête pas, fils de Sophronisque, je dois me hâter.

SOCRATE.

On me reproche volontiers d’être importun. Crains donc que je ne m’attache à tes pas, jusqu’à ce que tu m’aies appris si le bruit qui s’est répandu dans la ville est vrai ou faux.

AGORACRITE.

Il n’est que trop vrai, Socrate.

SOCRATE.

Phidias est gravement malade ?

AGORACRITE.

Phidias succombe à un mal inconnu.

SOCRATE.

Nous l’avons vu revenir si vigoureux !