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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/386

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PÉRICLÈS.

Tu me connais, Phidias : je ne suis incapable ni de concevoir ce qui est bien, ni de l’exécuter. Je puis, comme les autres magistrats, rentrer dans l’oisiveté, où le souvenir de ce que j’ai fait m’aiderait à attendre la mort avec patience ; mais que deviendra la puissance d’Athènes ? que deviendra sa liberté ?

PHIDIAS.

La liberté et la puissance d’un peuple ne dépendent pas d’un seul homme, qui est mortel, mais de ses institutions, qui ne périssent pas.

PÉRICLÈS.

Tu ne nieras point que nos institutions mêmes n’encouragent les ambitieux. La démocratie ne saurait se passer d’un chef, semblable à un troupeau qui n’existe pas sans le berger. Si je me retire, qui me remplacera ? Seront-ce mes fils, Paralos l’indolent ou Xanthippe, esclave d’une femme dépensière ?

PHIDIAS.

L’égalité serait détruite à jamais entre les hommes, si un père illustre n’avait pas des enfans dégénérés.

PÉRICLÈS.

Sera-ce Alcibiade, dont les qualités les plus séduisantes ne sont égalées que par la corruption ? Je l’admire, et il m’effraie. Comment respectera-t-il plus tard les lois, puisqu’il ne connaît déjà aucun frein ? Prompt à servir son pays, il sera plus prompt à lui nuire.

PHIDIAS.

Il ne faut point nourrir un lionceau dans une ville : si on le nourrit, il faut subir ses caprices.

PÉRICLÈS.

Enfin céderai-je la place à Cléon, à Simmias, à Lacratidas, à Hyperbolos, à tous ces orateurs qui se fraient un chemin par les bouillonnemens de leur parole, ainsi que des torrens sillonnent la plaine ? La gravité, la modération, le respect de soi-même, secret de mon influence, leur sont inconnus. Au lieu d’éclairer le peuple, ils le flattent, préférant au bien public leur propre intérêt. Ils méprisent l’éloquence pleine de mesure et pour ainsi dire rhythmée qui conservait à la tribune le caractère religieux qui lui convient, car elle est le sanctuaire d’où partent les sages conseils, et les conseils funestes, où se décident la grandeur de la patrie et sa ruine. Au contraire, leurs invectives et leurs dénonciations ressemblent aux aboiemens d’une meute qui poursuit sa proie. Il faut donc que je reste à la tête de la république tant que mes forces me soutiendront, tant qu’un chef ne se sera pas produit. La nécessité me rend esclave de la fortune ; moi aussi, je porte la tunique de Nessus. Si les Athéniens m’ôtaient le pouvoir, ils me supplieraient bientôt de le reprendre, parce qu’ils s’apercevraient que seul je puis les conduire à travers les dangers qui les menacent.

PHIDIAS.

Ces dangers, fais-tu ce qui est utile pour les conjurer ?