Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mobiles dans leurs passions, épris des nouveautés, préférant des chimères à la gloire la plus solide. Les bienfaits de la paix, ils les supportent avec impatience ; la culture de leurs terres, ils y renoncent pour s’élancer sur leurs belles trirèmes ; la richesse les enivre sans les satisfaire, et ils calculent combien de flottes on peut équiper à l’aide des sommes immenses que contient le trésor de Minerve. Les arts ont cessé de les captiver, ce qui t’arrive en est la preuve. La poésie elle-même leur paraît surtout propre à célébrer des victoires. En un mot, ils ne souhaitent que les conquêtes. Si tu n’étais point prisonnier, tu verrais nos jeunes gens dans le stade et nos vieillards eux-mêmes dans les jardins d’Académos traçant sur le sable la figure des pays qu’ils veulent envahir. Tantôt c’est la Sicile, peuplée par les Doriens, tantôt l’Italie aux plaines fertiles. Ceux-ci assiègent Carthage et soumettent l’Afrique à leur joug ; ceux-là, s’élançant sur l’Asie, renversent le trône d’Ecbatane. Moi seul, je les retiens encore : si je descends du char, les coursiers emportés le feront aussitôt voler en éclats.

PHIDIAS.

Combien la destinée se plaît à confondre les desseins des mortels, si l’habile Périclès ne sait plus redresser les esprits de ses concitoyens !

PÉRICLÈS.

Quoi ! tu ne me crois pas ?

PHIDIAS.

Je te crois, mon ami ; mais je voudrais que les armes t’inspirassent plus d’horreur. Songe que des guerres prolongées (et celle-ci sera terrible) ramènent une nation à une sorte de barbarie, en l’accoutumant à n’estimer que la force. Le bien que tu as fait depuis quarante ans sera détruit après quelques campagnes, car le théâtre n’a plus de charme quand l’oreille est accoutumée au bruit de la trompette ; les architectes et les sculpteurs cèdent la place aux marchands d’aigrettes et aux fabricans de cuirasses ; les maîtres d’éloquence sont méprisés par la jeunesse, qui se presse autour des professeurs de gymnastique et d’escrime. Comme la victoire appartient, non pas à celui qui a raison, mais à celui qui tue le plus d’ennemis, la violence règne partout, et ce spectacle corrompt peu à peu les âmes les meilleures. Les mœurs deviennent plus grossières, les généraux plus puissans, et la liberté est promptement menacée.

PÉRICLÈS.

Il est au contraire plus facile de gouverner les Athéniens lorsque leur turbulence se tourne vers le dehors. De même que les médecins n’ont de crédit qu’auprès des malades, de même les chefs d’une république trouvent le peuple plus docile dans le danger.

PHIDIAS.

Mais ce danger, en as-tu mesuré l’étendue ? Ne prévois-tu pas qu’une moitié de la Grèce se lèvera contre l’autre moitié ?

PÉRICLÈS.

Celui qui déchaîne les tempêtes les peut enchaîner de nouveau.

PHIDIAS.

Ainsi les âmes les plus grandes n’échappent point à l’aveuglement ! Tes