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par examen ; il défendit la religion jusqu’à sa mort, et il s’occupait quelques jours avant qu’elle arrivât des moyens de fortifier ses preuves. Pieux sans hypocrisie, vertueux sans austérité, il aimait les hommes ; il cherchait à leur être utile ; il ne blâma jamais ceux qui pensèrent autrement que lui ; et il se bornait à plaindre ceux qui nourrissaient des erreurs dangereuses[1]. » Tel fut, selon le témoignage d’un contemporain, l’homme qui excitait l’enthousiasme de Jean-Jacques Rousseau et qui forçait Voltaire au respect.

Auprès du vaillant Haller et du sage Abauzit grandissait leur élève, Charles Bonnet, qui devait être aussi un noble représentant de la science religieuse et de la philosophie chrétienne. Il fut surtout le disciple et l’ami de Haller. Sa correspondance avec le poète des Alpes montre bien quelles étaient les préoccupations sublimes de ces belles âmes. La vie future et les conditions du salut, voilà le sujet de leurs entretiens, et ils s’y livrent sans bigoterie, sans terreurs superstitieuses, mais avec ce respect de l’homme et cette crainte de Dieu qui est le commencement de la science. Moins rigide que Haller, plus orthodoxe qu’Abauzit, Charles Bonnet a montré ce que peut être l’équilibre harmonieux des facultés humaines. La religion le ramenait sans cesse à la philosophie et la philosophie à la religion. Naturaliste du premier ordre, il avait des idées hardies, aventureuses ; il construisait le monde d’après les rêves de son âme, et ces ardentes rêveries ne le détournaient point de la méthode la plus sévère. S’il avait traversé d’abord les régions du doute, il puisa bientôt dans la Théodicée de Leibnitz une foi métaphysique et chrétienne qui devint la règle de sa vie. Cet optimisme enchantait son intelligence, et c’est au moderne Platon, comme il le nomme, qu’il doit ses conceptions les plus hautes. Que d’autres apprécient chez lui le. naturaliste, le savant, le contemplateur des œuvres de Dieu, qu’ils rendent hommage au disciple de Haller et au maître de Saussure, c’est surtout son originalité morale que nous voulons rappeler ici, pour montrer quel ordre de sentimens et d’idées s’opposait comme une barrière à l’invasion de la philosophie française.

Combien de noms faudrait-il citer encore, si nous voulions faire apparaître cette noble élite, qui, acceptant les meilleures pensées d’un siècle novateur, maintenait pourtant et fortifiait la tradition du spiritualisme chrétien ! Ce qui est particulièrement admirable, c’est que les sciences naturelles et physiques, un des grands titres de gloire du XVIIIe siècle, aient été si franchement associées en Suisse à la pensée religieuse. Les grands naturalistes chrétiens de Berne et de Genève forment un groupe lumineux dans la tumultueuse

  1. Histoire littéraire de Genève, par Jean Senebier ; Genève 1786, t. III, p. 67.