Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au christianisme orthodoxe ; dans un siècle de mœurs faciles et douces, le conseil d’état de la cité de Calvin condamne au feu la Profession de foi du Vicaire Savoyard pour réfuter les perfidies de Voltaire. S’il y a ici un acte d’intolérance, c’est Voltaire qui le provoque, sauf à le blâmer ensuite hypocritement, tant il est impatient de brouiller Genève et Jean-Jacques. Quel imbroglio d’intrigues ! Il faut voir, en face de cela, l’empressement loyal de Moultou. Il écrit à Rousseau, il lui révèle la situation de Genève, l’affliction de ses amis, la joie des voltairiens, et il le conjure de venir en aide à ceux qui le défendent. Se rétracter, il ne le peut ; mais pourquoi n’expliquerait-il pas ses paroles ? pourquoi, tout en avouant ses difficultés et ses doutes, ne marquerait-il pas la différence qu’il y a entre sa profession de foi et l’impiété du siècle ? S’il n’est pas chrétien selon la rigueur du dogme, n’est-il pas chrétien de cœur ?


« Je ne vous l’ai point dissimulé, mon cher ami, ce que vous avez dit sur la religion a affligé ceux même de vos compatriotes qui vous aiment le plus, parce qu’ils aiment encore plus leur religion ; cependant ils cherchent à vous excuser et à vous défendre, tandis que les ennemis de la religion et de la patrie triomphent de ce que vous leur avez fourni des armes pour vous attaquer. Il me semble, cher concitoyen, que vous pourriez aussi aisément consoler les uns que déconcerter la joie maligne des autres. Je ne vous demande pour cela qu’une explication.

« Ne croyez pas que je vous propose de vous rétracter sur rien de ce que vous avez dit, cette pensée est trop éloignée de votre cœur, et si j’étais capable de vous faire cette proposition, vous devriez rompre tout commerce avec moi et ne pas me faire réponse.

« Mais ne pourriez-vous pas, dans une lettre que vous adresseriez à moi si vous voulez (et vous sauriez bien le faire sans rendre ma foi suspecte), rendre compte des motifs qui vous ont porté à écrire aussi librement que vous l’avez fait ? Là, vous montreriez que vos principes de religion ne diffèrent pas de ceux des vrais chrétiens, que vous recevez précisément les dogmes essentiels qu’ils reçoivent, et qu’en rejetant ceux de l’église romaine et ceux qu’une ancienne théologie avait ajoutés à l’Évangile, vous tenez à tout le reste, que vous ne rejetez pas même la révélation, qui peut être vraie, mais dont vous ne pouvez avoir toute la certitude que vous souhaiteriez, qu’il y a bien loin de ce doute à l’incrédulité absolue, et qu’avec vos principes on peut être aussi honnête homme qu’un chrétien plus persuadé de la divinité de la révélation.

« Mais sur quoi je voudrais insister surtout, et vous le feriez avec plaisir, c’est d’abord sur la supériorité de la religion de Genève sur toutes les autres religions, et sur les motifs qui vous ont obligé d’écrire sur le christianisme si défiguré partout que les objections qu’on en tire nuisent aux principes mêmes de la religion naturelle, et jettent les peuples dans le scepticisme et dans l’incrédulité. Un tel ouvrage, mon cher concitoyen, qui serait plus beau que la Défense de l’Esprit des Lois, et qui ne serait qu’un commentaire de quelques endroits du vôtre, serait dans les mains de vos