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du conseil et la manière dont le roi a daigné se déclarer contre les dévots fanatiques qui voulaient qu’on abandonnât les Calas. Nous devons beaucoup à M. le duc de Choiseul et surtout à M. le duc de Praslin.

« Le règne de l’humanité s’annonce.

« Ce qui augmente ma joie et mes espérances, c’est l’attendrissement universel dans la galerie de Versailles. Voilà bien une occasion où la voix du peuple est la voix de Dieu. Je parie que vous avez pleuré de joie en apprenant cet heureux succès.

« Je vous demande pardon de vous avoir fait lire mes esquisses informes ; mais je crois vous devoir des prémices, comme un tribut que mon cœur et mon esprit paient aux vôtres. »

« L’erreur que vous avez découverte mérite d’être relevée, et vous pourrez aisément en parler dans la belle histoire des premiers siècles que vous préparez. Le passage d’Athénagoras prouve formellement que les empereurs romains n’avaient point été persécuteurs. Les vrais persécuteurs ont été chez nous. Il fallait que les chrétiens donnassent une bien mauvaise idée d’eux pour qu’on les accusât d’être anthropophages. Pour moi, je vous avoue que j’aimerais mieux qu’ils eussent mangé autrefois un ou deux petits garçons que de faire brûler tant d’innocens et de se rendre coupables des massacres des Albigeois, de Mérindol et de Cabrières, de la Saint-Barthélemy et de tant d’autres horreurs. Cette abomination nous est particulière. Il faut que notre religion soit bien vraie, puisqu’on n’a jamais craint de lui nuire en la prêchant ainsi.

« Mettez-moi, monsieur, aux pieds de Mme la duchesse d’Enville. Je lui suis respectueusement attaché pour le reste de ma vie. Je n’avais pas imaginé que ces rogatons dont vous me parlez pussent l’amuser ; mais puisqu’elle daigne descendre à ces bagatelles, on aura l’honneur de lui en envoyer. »

« Ferney, 11 mars 1764.

« Il est bien douteux, mon cher et aimable philosophe, qu’on propose le rappel des protestans en France, car assurément on ne les en a pas chassés. Au contraire on les retient malgré eux, et on confisque leurs biens quand ils viennent déjeuner à Genève ou à Lausanne. Ce qu’on devrait proposer, ce me semble, ce seraient des conditions raisonnables, moyennant lesquelles ils ne seraient plus tentés d’abandonner leur patrie ; mais on m’assure que dans le livre de M. de La Morandière on avance qu’il ne doit pas être permis à deux familles de s’assembler pour prier Dieu. C’est conseiller la persécution sous le nom de tolérance ; mais il se peut qu’on m’ait trompé, je n’ai point vu le livre. Ce que je sais, c’est que les parlemens brûlent à présent tous les livres qui leur déplaisent.

« On ne fera pas cet honneur à l’……[1] théâtrale de ce pauvre Jean-Jacques, car on ne la lira pas. J’ai peur que le bonhomme ne devienne entièrement fou. Les dévots diront que c’est une punition divine.

« Dès que j’aurai quelque chose qui puisse amuser Mme la duchesse d’Enville, je ne manquerai pas de vous le faire tenir. Il n’y a que son extrême indulgence et la vôtre qui puissent me faire prendre cette hardiesse.

  1. Mot illisible.