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« Seuls craints, seuls respectés, méprisant de fait le pouvoir du sultan, dont ils reconnaissent l’autorité nominale, les chefs de bande qui parcourent la Syrie sont les véritables maîtres du pays. C’est à eux que le voyageur doit demander aide et protection. L’émir Harfouche, condamné à mort depuis longtemps, parcourt impunément avec ses cavaliers la vallée de Baalbek ; les cheikhs des Bédouins Anazé occupent la plaine de Homs et rançonnent cette ville ; enfin Akiel-Aga gouverne sans contrôle toute la Galilée, depuis le Jourdain jusqu’à la mer. L’histoire de ce hardi partisan mérite peut-être d’être rapportée ; elle est un exemple curieux de la faiblesse matérielle du gouvernement turc et de la dépendance à laquelle il est réduit en gardant les airs du commandement. Algérien de naissance, mais élevé en Égypte, où il devint bachi-bouzouk de Méhémet-Ali, Akiel-Aga commandait pour lui à Nazareth, lorsque la Syrie fut rendue aux Turcs. Après quelques ménagemens hypocrites, ceux-ci s’emparèrent de sa personne par trahison et l’envoyèrent aux galères à Constantinople ; mais, assez heureux pour en sortir, grâce aux amis qu’il s’était faits durant sa prospérité, il retourna en Galilée, où son nom n’était pas oublié. Quelques vagabonds réunis autour de lui formèrent bientôt le noyau d’une tribu. Bon et généreux, il se fait aimer de tous ceux qui le servent, et attire auprès de lui l’Arabe errant à la recherche du plus fort, aussi bien que le paysan qui, de guerre lasse, abandonne le rôle de pillé pour celui de pillard. Aussi trente-deux tribus lui obéissent-elles aujourd’hui. Depuis Naplouse jusqu’au Carmel, depuis Césarée jusqu’à Banias, son autorité est incontestée, et il lève sans difficulté sur tous les villages de ce vaste district le quart du produit de la récolte. Les Turcs se sont hâtés de composer avec lui aussitôt qu’il a été puissant. Ils lui paient aujourd’hui 30,000 fr. par an ; mais, habiles à déguiser leur faiblesse sous de pompeuses paroles, ils lui ont donné la mission officielle de faire la police du pays, et décorent ce tribut du nom de traitement. Il leur a mal réussi un jour de prendre ces vains mots un peu trop au sérieux. « Nous étions tranquillement campés au pied du Thabor, me disait le mois dernier un parent d’Akiel-Aga, quand nous vîmes arriver de Damas un prétendu caïmacam à la tête de sept cents cavaliers. Il envoyait à Akiel-Aga un firman qui le destituait et le sommait de lui céder la place. Celui-ci, qui se sentait le plus fort, voulut se donner l’avantage de la modération, et engagea l’intrus à se retirer sans tenter le sort des armes, « car, dit-il, si j’occupe le pays au nom du sultan, je ne dois mon pouvoir qu’à moi-même, et je ne le céderai à personne. » Mais ses envoyés furent insultés, et désormais la poudre seule pouvait décider entre les deux compétiteurs. Akiel-Aga, qui a appris la guerre à l’école de Soliman-Pacha, prit aussitôt ses dispositions pour le