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tout ce qu’elle avait dans le cœur, après avoir admiré la maison qu’il avait bâtie au Seigneur, la splendeur de sa cour et l’ordre qui régnait dans son état, elle dit au roi : « Ce que j’ai appris dans mon pays de ta sagesse est véritable. Qu’ils sont bienheureux les serviteurs qui se tiennent devant toi et qui écoutent ta sagesse ! » Ayant ainsi parlé, la reine quitta Jérusalem et retourna dans son royaume.

Ce n’est pas cette donnée biblique qu’ont suivie les auteurs du libretto que nous analysons. Ils ont préféré une légende bâtie sur le récit du premier livre des Rois, et qu’avait rapportée d’un voyage en Orient ce pauvre et charmant esprit, Gérard de Nerval. Voici comment MM. Jules Barbier et Michel Carré ont conçu leur poème. — La reine Balkis se rend à Jérusalem pour voir le grand roi Soliman et admirer les merveilles du temple qu’il fait bâtir. Elle dit au roi que, s’il devine certaines énigmes qu’elle soumettra à sa sagacité, elle s’engage à lui donner, avec sa main, un anneau magique avec lequel il pourra faire tout ce qu’il voudra. Soliman ayant répondu victorieusement aux questions de la reine Balkis, elle s’apprête à épouser le roi dont elle admire la grandeur et la sagesse ; mais avant de conclure cet hymen extraordinaire, la reine, qui a le goût des arts très développé, désire visiter le temple et voir le grand artiste qui a conçu et exécuté des travaux si gigantesques. Cette curiosité bien légitime de la reine Balkis est fatale à l’amour de Soliman, car elle s’éprend tout à coup d’une passion vive et profonde pour Adoniram, le grand artiste dont le génie a créé tout ce qu’elle vient d’admirer. Voilà donc la reine Balkis dans une position assez difficile, ne voulant plus de Soliman, à qui elle a remis imprudemment l’anneau magique, et portée vers l’artiste, qui ressent pour elle un amour ardent et respectueux. Après avoir passé quelques jours dans une hésitation qui inquiète fort Soliman, puisqu’il s’écrie :

Oui, depuis quatre jours, hommes d’armes, lévites,
Tout veille, tout est prêt ; — la flamme est sur l’autel,
Et quand l’heure est venue, au moment solennel,
O perfide Balkis, tu me fuis, tu m’évites !…

Le fait est que Balkis se conduit fort mal et que, pendant quatre jours, on ne sait trop ce qu’elle devient ; elle découche, elle se perd dans le temple à s’entretenir avec Adoniram. Et ce qui prouve que la conduite de la reine Balkis est plus que légère, c’est qu’elle simule une scène de volupté avec Soliman, pendant laquelle elle lui administre un narcotique. C’est pendant ce sommeil factice de Soliman que Balkis lui arrache du doigt l’anneau magique dont elle va se servir pour sauver son amant ; mais les choses s’embrouillent, Soliman se réveille furieux et jaloux comme un tigre, une conspiration de trois ouvriers s’ourdit contre Adoniram, qui meurt assassiné sur les bords affreux du Cédron. Balkis, qui avait assisté son amant jusqu’à son dernier soupir, s’écrie alors :

Emportons dans la nuit vers un autre rivage
Les restes vénérés du maître qui n’est plus !
Et que son nom divin soit redit d’âge en âge
Jusques au dernier jour des siècles révolus !