par l’attrait du sujet que l’on traitait, alors elle se livrait davantage et nous étonnait par l’élévation de ses idées et par des citations multipliées relatives aux héroïnes de l’antiquité. C’était pour elle un thème inépuisable. La mère des Gracques, celle de Coriolan, les Pauline, les Porcie, passaient rapidement sous nos yeux avec toute la pompe de l’histoire et la majesté des siècles passés. C’était très bien ; mais cette manie revenait si souvent que je craignis à la fin que l’ancienne amie de ma sœur, la mienne à présent, ne parût un peu pédante et ne se rendît ridicule. Je l’en avertis consciencieusement. Aussi, quand Véturie ou Cornélie se présentait à sa mémoire, elle me regardait tout de suite, rougissait, et la citation expirait sur ses lèvres. Je crus pendant un temps avoir réussi à la débarrasser de ce bagage classique qu’elle traînait à sa suite ; mais, si elle supprimait à cause de moi l’éloge de ses héroïnes révérées, elle en gardait le culte dans son cœur.
« On a imprimé à diverses reprises que Mlle d’Armont avait aimé le jeune vicomte de Belsunce, et que c’était pour le venger que, quatre ans plus tard, elle avait poignardé Marat. On en a dit autant de Barbaroux, car la tragédie sans amour ne répond pas au goût du siècle. Ces deux assertions sont également fausses et absurdes : non-seulement elle n’a jamais aimé M. de Belsunce, mais elle se moquait de ses manières efféminées. Aucun homme ne fit la moindre impression sur elle ; ses pensées étaient ailleurs. Je puis du reste affirmer que rien n’était plus éloigné d’elle que l’idée du mariage. Elle avait refusé plusieurs partis fort convenables et déclaré sa ferme résolution de ne pas changer de position. Était-ce que cet esprit si fier se révoltât à la seule pensée de se soumettre à un être inférieur à elle ? était-ce répugnance de cette âme virginale ? Je ne l’ai jamais su ; mais, d’après la cours de nos conversations intimes, si souvent répétées, j’atteste que nul ne put jamais se vanter de lui avoir plu, d’avoir pris une place quelconque dans son cœur. « Jamais, me disait-elle quelquefois, je ne renoncerai à ma chère liberté ; jamais vous n’aurez, sur l’adresse de vos lettres, à me donner le titre de madame. » Ni Barbaroux ni aucun de ses collègues, avec lesquels ses rapports sont postérieurs à mon séjour à Caen, n’a pu altérer cette résolution inébranlable. Leur liaison avec elle fut toute politique. Son cœur héroïque n’était susceptible que d’un seul amour, le plus noble de tous, auquel elle a tout sacrifié, l’amour de la patrie. — Elle était, je crois l’avoir déjà dit, d’une extrême réserve, timide même, dénuée de toute coquetterie. Elle ne cherchait ni à plaire ni à briller. Pieuse par sentiment dès sa plus tendre enfance, elle avait, dans son long séjour à l’Abbaye-aux-Dames, fortifié ses croyances religieuses, qui étaient aussi profondes que sincères, et