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ou démoniaques : là les différences sont tranchées, exclusives, les castes cruelles, fermées, inaccessibles; un troll, un kobold, une salamandre appartiennent à une race déterminée. On est troll, kobold ou salamandre, ou on ne l’est pas. Cette ignorance du régime des castes, qui est peut-être le témoignage le plus remarquable des instincts sociables et humains des fées, suffit à expliquer pourquoi elles ont toujours été chères à la France, tandis que les autres êtres mystérieux n’ont jamais obtenu que son dédain, son indifférence ou son mépris.

Les mœurs et les habitudes que nous venons de décrire appartiennent principalement aux fées françaises; mais il est remarquable qu’aux différens âges de leur histoire on retrouve dans leurs personnes les traits essentiels que nous venons d’indiquer, comme on retrouve les caractères principaux du génie d’un peuple à travers les vicissitudes les plus diverses de sa fortune. On les rencontre un peu partout, car, au contraire des autres populations mystérieuses, qui sont casanières, sédentaires, et qui se détachent difficilement du sol où elles sont nées, les fées sont voyageuses et cosmopolites, elles s’acclimatent en tous lieux. Eh bien! dans quelque pays qu’on les prenne, même chez les peuples d’humeur sombre et violente et chez les nations à demi barbares, et quel que soit le nom sous lequel elles se cachent, on sent en elles des dispositions latentes à la sociabilité, qui n’attendent pour s’épanouir qu’un milieu favorable. En Allemagne, elles sont restées gracieusement barbares; elles n’ont jamais pu cesser d’être des filles de la nature et devenir des personnes morales, mais leurs espiègleries homicides trahissent des instincts singulièrement humains, et il n’a manqué que des éducateurs affectueux aux elfes pour devenir des fées accomplies. Les fées demandent à être aimées plus que craintes ou redoutées, et elles semblent singulièrement sensibles au mépris. Partout où les populations les redoutent et les injurient comme des cires maudits, elles deviennent timides, sauvages, malfaisantes, et redoublent de mauvais instincts. Redoutées comme dangereuses et perverses en Allemagne et dans les pays scandinaves, elles sont fantasques, capricieuses, innocemment cruelles, timides à l’excès ou audacieuses à outrance. Elles demandent un peuple d’esprit libre, tolérant, un peu sceptique; le fanatisme les met en fuite et les fait déchoir. Ainsi en Bretagne, où elles ont séjourné si longtemps, la piété du peuple leur a fait un mauvais renom. Les fées bretonnes, qui ont la méchante habitude d’enlever les enfans, ne sont pas des barbares à la manière des fées allemandes, ce sont des princesses déchues. Là encore leur histoire témoigne combien elles sont sensibles à l’aversion et au mépris de l’homme. Jadis