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béciles, le mépris des méchantes gens et l’amour des jeunes gens spirituels et des jeunes filles injustement dédaignées. Personnes délicates et morales, elles veulent savoir si elles ont bien placé leurs dons, et se plaisent à éprouver les qualités de l’esprit et du cœur de leurs filleules et de leurs protégés. Leur cœur est singulièrement humain, car il est accessible à tous les sentimens qui tourmentent ou consolent notre pauvre espèce; elles sont sensibles à la reconnaissance, capables de jalousie et même de ressentimens, infiniment susceptibles et promptes à se piquer. Enfin, trait de caractère qui suffit à montrer combien il y a peu de différence entre les hommes et les fées, sans être vénales, elles aiment assez qu’on leur paie leurs bienfaits, et elles ne dédaignent pas les présens. Lorsqu’on les appelle à la naissance d’un jeune prince ou d’une jeune princesse, on a bien soin de placer devant elles soit un écrin, soit une cassette. On n’est pas plus sociable.

Il ne faut rien exagérer. Le fantastique si modeste et si près de la réalité des contes de Perrault est bien essentiellement français, cependant on aurait tort de le prendre comme une expression absolument exacte de la manière dont notre pays comprend le merveilleux. Je crois que cette simplicité, cette raison et, pour tout dire, cette économie d’imagination tiennent beaucoup aux localités dont ces contes, selon toute probabilité, sont originaires. Ces contes, je l’ai déjà fait remarquer, sont des enfans perdus et des orphelins de la tradition de provenance très diverse. Les uns sont de provenance bourgeoise, les autres de provenance chevaleresque, quelques-uns d’extraction tout à fait rustique; mais tous, bourgeois, nobles ou paysans, ils sont enfans des mêmes localités. On a discuté pour savoir d’où venaient ces contes, et les érudits ont montré que chacun d’eux, à l’exception de Riquet à la Houppe, avait son analogue dans les autres pays de l’Europe; mais cette circonstance est fort naturelle et ne nous donne pas leur véritable extrait de naissance. Il est trop évident qu’en tout pays l’imagination humaine travaille sur les mêmes données, comme en tout pays la vie humaine est soumise aux mêmes lois physiques et aux mêmes vicissitudes de la fortune. Le fonds, la substance importent peu en pareille matière; ce qui importe et ce qui marque la race et la nationalité, c’est la forme, le visage, le caractère et la tournure d’esprit. Or la manière dont ces contes ont été rédigés suffirait pour nous apprendre de quelles provinces ils sont originaires. Ces enfans perdus, amenés au foyer hospitalier de Perrault par ses voisins et ses amis, n’ont eu à franchir, pour arriver jusqu’à lui, ni océans, ni montagnes; ils ne viennent pas de bien loin, et un Français peut hardiment nommer les provinces d’où ils sont sortis. Est-ce que vous ne reconnaissez pas