désespérant de convaincre directement son ennemie, s’en va trouver quelque enchanteur ou quelque génie de ses amis et lui expose la conduite absurde ou atroce de la haineuse Magotine ou de l’intrigante Soussio, et le prie de faire cesser le sortilège qui pèse sur l’oiseau bleu ou le serpentin vert. Vous voyez d’ici ce génie ou cet enchanteur : un vieux joueur d’échiquier politique, un vieux pétrisseur de pâte sociale, un puissant magicien blanchi sous les fatigues de sortilèges du commandement et de l’autorité, un solitaire connaissant à fond les secrets des druides ou dont la mémoire conserve les recettes des temps passés contre les maléfices. Le royaume des fées s’étend très loin dans Mme d’Aulnoy, aussi loin que les bornes mêmes de la société humaine, car toutes ses fées ne sont pas puissantes, il s’en faut, et il y en a même qui sont à la merci d’un matou ou d’un héron : telles sont les demi-fées, les grenouilles bienfaisantes par exemple ou les bonnes petites souris[1].
Cette transformation des fées en marraines et en protectrices est leur dernière incarnation dans notre pays. Les voilà bien loin de leur brillante origine, bien loin de ces âges chevaleresques qu’elles enchantèrent et animèrent de leur esprit. Les contemporains de Perrault ont perdu tout respect pour ces âges lointains, que dis-je? ils en ont perdu jusqu’à l’intelligence. Les fées chevaleresques, si elles reparaissaient, courraient risque d’être bafouées par les plus méchans et traitées de Gauloises par les plus indulgens. Voyez plutôt la mésaventure qui leur arriva lorsque Galland eut traduit les Mille et Une Nuits, et qu’elles eurent trouvé un instant de prestige parmi ce public raisonnable et raisonneur, ébloui de leur éclat. La parodie ne se fit pas attendre, et elle fut d’autant plus cruelle qu’elle fut accomplie par une fée même, la plus légère et la plus mondaine des fées. Le vif Antoine Hamilton répondit à la vogue méritée des Mille et Une Nuits par ses contes moqueurs et parfois charmans de Fleur d’Epine et des Quatre Facardins. Ce qu’il y a de curieux et de piquant, c’est que ces parodies des contes de fées
- ↑ La valeur réelle des contes de Mme d’Aulnoy consiste dans ce tableau allégorique du monde et de la société. Ces contes sont une mascarade féerique, dont les personnages ont le ton et le tour d’esprit et de langage des grands seigneurs et des belles dames d’autrefois. Quelques-unes de ces fées à leur aurore avaient figuré peut-être dans la société de Mme de La Fayette ou de Julie d’Angennes, d’autres avaient sans doute leurs entrées chez la doyenne des fées du siècle, Mme de Maintenon. Tels qu’ils sont, ingénieux, spirituels, polis, souvent profonds, ce sont bien les contes de fées d’une société qui avait connu à son aurore les mascarades pastorales de la grande Mademoiselle, et qui devait connaître à son déclin les mascarades scientifiques et philosophiques de la duchesse du Maine en sa petite cour de Sceaux. Nous les recommandons aux faiseurs de ballets et de féeries dramatiques; ils y trouveront quantité de jolis motifs de danses et de sujets de décors.