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qui l’entourent. Un merveilleux plus coupable commence, et à leur bienfaisante magie blanche succède le règne de la magie noire des associations politiques secrètes, des formules occultes, des conjurations nécromantiques. Autres temps, autres esprits. Vous trouverez dans le bonhomme Cazotte, magicien craintif et plein d’antipathies pour ces nouveaux esprits, dont il redoute le règne, l’expression pour ainsi dire timorée de ce merveilleux, d’un ordre fort différent de celui qui nous occupe, et dont nous n’avons pas à parler. Mises en fuite par le XVIIIe siècle et la révolution, les fées françaises émigrèrent et n’ont jamais reparu. Elles laissèrent des souvenirs assez puissans pour conserver un parti en France; mais ce parti, dont le spirituel Charles Nodier fut le chef, et qu’on nommerait volontiers le parti légitimiste de la féerie française, ne parvint pas à les rappeler de l’exil et à rétablir leur autorité. Ce fut en vain que Charles Nodier, plus féerique que les fées nationales, comme certains politiques à la même époque étaient plus royalistes que le roi, poussa jusqu’au paradoxe la doctrine de l’autorité légitime des fées, en déclarant que toute poésie, toute philosophie et toute science étaient contenues dans les Contes de Perrault et la Bibliothèque bleue. Deux faits nouveaux se révèlent, deux faits dont Charles Nodier lui-même a subi l’influence : l’anarchie dans le merveilleux et l’invasion des fées étrangères.

La véritable tradition française s’est perdue : le monde du merveilleux est livré à l’arbitraire, au caprice, à l’interprétation individuelle. J’ai sous les yeux quatre volumes contenant les meilleurs contes qui aient été écrits de notre temps, le Nouveau Magasin des Enfans. Rien ne fait mieux comprendre que cette lecture l’anarchie dont nous parlons. Les spirituels écrivains, tous très connus, qui ont rédigé ces contes ne sont réunis par aucune tradition commune. Les fées ne sont pas pour l’un ce qu’elles sont pour l’autre, et chacun d’eux les crée à sa manière et selon l’arbitraire de son bon plaisir. Ils les abordent avec le sans-gêne irrespectueux de romanciers à la mode ou d’écrivains habitués à traiter avec de plus hautes puissances. Quelques-uns oublient même de leur donner des noms; d’autres, et c’est le plus grand nombre, prennent le parti de se passer bravement de merveilleux, et font des contes où les fées sont remplacées par le nain Tom Pouce, le chat de Mme Michel, une poupée ou un régiment de soldats de plomb. D’autres encore se permettent de violer la tradition la mieux établie et de tenter des réhabilitations dangereuses. M. Octave Feuillet par exemple avait-il bien le droit de présenter Polichinelle comme un type de bonté et d’humanité malgré l’histoire la plus authentique et la tradition la plus certaine et la plus constante? En dépit de son