C’est aussi aux conversations des fées étrangères qu’un érudit curieux et chercheur, M. Edouard Laboulaye, est allé demander les amusemens de ses heures oisives et la distraction de travaux plus graves. M. Laboulaye a vaincu le préjugé trop ordinaire qui éloigne les savans des fées, préjugé qu’elles punissent par le pédantisme et l’ennui, gradués proportionnellement à l’importance du délit commis; elles l’ont récompensé en se montrant à lui sous tous leurs costumes et sous toutes leurs formes. Fées arabes, fées italiennes et espagnoles, fées allemandes, serbes et slaves ont défilé sous ses yeux; mais comme elles ont semblé comprendre qu’il ne pouvait ni ne voulait les aimer en dépit du génie de sa nation, elles lui ont accordé le don de raconter leurs merveilles avec une simplicité et un goût tout français. Les personnages et les légendes d’Abdallah ou le trèfle à quatre feuilles sont arabes et orientaux, mais le récit est tout français, et la morale sommaire et attristée du conte est bien celle qu’un Français revenu des longs voyages et des dures expériences formulerait comme l’expression la plus nette et la plus certaine de la vie. Il a eu moins d’efforts à faire pour rester Français dans ses contes napolitains du Château de la Vie et de Perlino, jolis et fins comme l’esprit du peuple qui les a inspirés, tout à fait dignes de figurer dans une bibliothèque choisie des fées.
Qu’elles nous consolent au moins, ces belles étrangères, des fées françaises que nous avons perdues; qu’à notre contact elles s’humanisent et deviennent libérales et sociables comme l’étaient les antiques protectrices et les marraines de nos pères! Qu’elles deviennent Françaises à leur tour et fassent refleurir chez nous un monde enchanté national, car cela est trop probable, hélas! nos anciennes fées françaises ne reviendront plus! Elles ne reviendront plus, et c’est pourquoi je me suis volontiers attardé à relire quelques chapitres de leur histoire, et j’ai pris plaisir à voir passer leurs ombres bienveillantes. De plus brillantes commencent à les remplacer. Puissent-elles se montrer aussi humaines et aussi bonnes!
EMILE MONTEGUT.