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il me fallait absolument choisir, je n’hésiterais pas : mieux vaut encore risquer de s’égarer que de marcher en laisse; tout plutôt que l’imitation! Je comprends cependant qu’on soit d’avis contraire. Il y a des gens que la témérité révolte, qui ne pardonnent pas une offense à leur goût, un trouble dans leurs habitudes : ceux-là sont hors d’état d’accepter de sang-froid ces deux anges; mais si vous êtes par bonheur d’humeur plus débonnaire, si vous vous résignez sans prévention, sans colère, aux allures hasardées de ces ceux habitans du ciel, vous aurez votre récompense. Regardez bien : quelle énergie dans ces têtes! quel feu dans ces regards! quel jeu puissant dans tous ces membres! Isolément et pris à part, ces chérubins farouches sont deux morceaux de grande et puissante peinture. Je ne leur fais qu’un reproche : ils prennent un plaisir trop vif et trop personnel au châtiment qu’ils infligent; ils frappent pour leur propre compte, comme s’ils obéissaient non pas à la justice, mais à la passion. L’ange exterminateur lui-même ne doit pas laisser voir de haine pour ses victimes; il faut qu’on sente, même quand il frappe, que c’est un ordre qu’il accomplit, et que, si Dieu l’avait laissé faire, il serait compatissant. Je voudrais donc dans ces regards le même feu, j’y voudrais moins de rage. Aussi j’ai plus de sympathie pour ce troisième envoyé du ciel, ce sévère et brillant cavalier à l’armure et au sceptre d’or, aux ailes épanouies (car celui-là porte des ailes, bien que, soutenu par son cheval, il pût, à vrai dire, s’en passer). J’aime son expression calme, bien qu’indignée, méprisante sans cruauté. Il préside au supplice sans y mettre la main, et ne touche au coupable qu’en poussant sur lui son cheval, qui le renverse et le foule aux pieds. Quel dommage que les défauts de la monture nuisent un peu au cavalier! Que vient faire là cette robe d’un gris si violent et si dur, ce gigantesque poitrail, cette encolure en col de cygne d’une ampleur si exagérée? Tout cela trouble le spectateur et le détourne d’admirer la pose, le mouvement, l’inspiration de la figure. Faut-il le dire? ce cavalier me semble de meilleure race, et à certains égards il me satisfait mieux que son rival du Vatican. Il est moins bourru, moins brutal ; il y a dans son attitude, dans sa personne, dans ses traits, je ne sais quoi de serein, de noble, d’idéal. Ce n’est pas un centurion en colère, c’est vraiment un archange. Je ne promets pas à M. Delacroix d’avoir souvent à exprimer de pareilles préférences; mais, puisque l’occasion s’en trouve, je me complais à la saisir.

Cette bonne fortune va, je le crains, m’abandonner en parlant des autres personnages, à commencer par l’Héliodore lui-même. Je le vois là couché tout à plat sur le dos, la tête renversée, les bras en croix, une jambe à demi relevée. Cette posture peut sembler naturelle, on peut la proclamer naïve, l’admirer même et trouver au