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phales promenades de Garibaldi, en nous figurant ce que deviendraient chez nous de telles manifestations publiques éclatant autour d’une idole populaire. Il faudrait cependant s’habituer à ne plus voir dans les mouvemens expansifs d’un peuple doué d’enthousiasme à un degré qui nous est inconnu des préludes à nos émeutes démocratiques et sociales. Il faudrait savoir enfin que les Italiens ne contiennent point les fermens révolutionnaires que nous possédons, et que, la question nationale mise à part, ils sont au fond de nature très conservatrice. Que Garibaldi organise les tirs nationaux, qu’il s’efforce de donner à ses compatriotes le goût des armes, nous en devrions prendre notre parti avec d’autant plus de sécurité qu’il n’aura point cette année de besogne plus redoutable à faire. De même nous devrions moins nous préoccuper des incidens de la question ministérielle à Turin. Les Italiens, que la question ministérielle touche de plus près, l’apprécient avec plus de patience et de finesse politique qu’on ne le suppose. Le dualisme de M. Ricasoli et de M. Rattazzi est à leurs yeux une ressource politique et non un embarras. Les amis du baron ne regrettent point sa retraite; la durée de son ministère, lors même que M. Rattazzi en eût fait partie, l’eût compromis, usé inutilement peut-être, et comme il est par excellence l’homme de l’unité italienne, mieux vaut qu’il se conserve pour une de ces circonstances où, réalisant le vœu de l’Italie, la dictature morale d’un grand caractère universellement respecté pourra s’exercer avec succès. M. Rattazzi, nous ne serions pas surpris que ce fût la pensée de ses adversaires eux-mêmes, a des aptitudes particulières qui ont leur prix pour l’Italie : il est des situations auxquelles il convient mieux que personne, il est des services que lui seul peut rendre à son pays. Aucun homme éminent des autres régions de la péninsule n’eût pu, par exemple, résoudre avec la même facilité la question de la fusion des volontaires dans l’armée régulière. Il y avait, pour en venir là, des préjugés à vaincre, des difficultés à surmonter, et l’autorité seule de M. Rattazzi sur ses compatriotes en pouvait venir à bout. M. Rattazzi, pris à l’improviste, n’a pu du premier coup former un grand ministère; mais avec le temps il remaniera et complétera son cabinet. Nous avons peu de goût pour les questions personnelles, surtout quand elles s’agitent sur un théâtre qui nous est étranger; nous laisserons donc M. Rattazzi composer définitivement son ministère. Nous constaterons seulement que la majorité parlementaire, qui a le bon esprit de l’appuyer, a aussi le bon goût de ne point retirer sa confiance aux membres de l’ancienne administration. Elle a envoyé dans la commission du budget les deux plus remarquables collègues de M. Ricasoli, MM. Bastogi et Peruzzi. Libre des obstacles qu’aurait pu lui susciter une opposition tracassière, M. Rattazzi peut beaucoup pour l’organisation intérieure et la réalisation de ces conditions d’ordre et de régularité que certaines puissances, la Russie et la Prusse par exemple, qui n’ont pas cependant le droit d’être si difficiles, exigent avant de reconnaître le nouveau royaume. Nos meilleurs vœux le suivent dans l’accomplissement de cette tâche utile.