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nifestait par un certain choix de livres les prédilections qu’il appliquait en fait dans sa vie. Un petit meuble enseveli dans la poussière contenait uniquement ses livres de collège, livres d’études et livres de prix. Joignez encore un vieux bureau criblé d’encre et de coups de canif, une fort belle mappemonde datant d’un demi-siècle, et sur laquelle étaient tracés à la main de chimériques itinéraires à travers toutes les parties du monde. Outre ces témoignages de sa vie d’écolier, respectés et conservés, je le crois, avec attachement par l’homme qui se sentait vieillir, il y avait d’autres attestations de lui-même, de ce qu’il avait été, de ce qu’il avait pensé, et que je dois faire connaître, quoique le caractère en fût bizarre autant que puéril. Je veux parler de ce qu’on voyait sur les murs, sur les boiseries, sur les vitres, et des innombrables confidences qu’on pouvait y lire.

On y lisait surtout des dates, des noms de jours, avec la mention précise du mois et de l’année. Quelquefois la même indication se reproduisait en série avec des dates successives quant à l’année, comme si, plusieurs années de suite, il se fût astreint, jour par jour, peut-être heure par heure, à constater je ne sais quoi d’identique, soit sa présence physique au même lieu, soit plutôt la présence de sa pensée sur le même objet. Sa signature était ce qu’il y avait de plus rare ; mais, pour demeurer anonyme, la personnalité qui présidait à ces sortes d’inscriptions chiffrées n’en était pas moins évidente. Ailleurs il y avait seulement une figure géométrique élémentaire. Au-dessous, la même figure était reproduite, mais avec un ou deux traits de plus qui en modifiaient le sens sans en changer le principe, et la figure arrivait ainsi, en se répétant avec des modifications nouvelles, à des significations singulières qui impliquaient le triangle ou le cercle originel, mais avec des résultats tout différens. Au milieu de ces allégories dont le sens n’était pas impossible à deviner, il y avait certaines maximes courtes et beaucoup de vers, tous à peu près contemporains de ce travail de réflexion sur l’identité humaine dans le progrès. La plupart étaient écrits au crayon, soit que le poète eût craint, soit qu’il eût dédaigné de leur donner trop de permanence en les gravant à perpétuité dans la muraille. Des chiffres enlacés, mais très rares, où une même majuscule se nouait avec un D, accompagnaient presque toujours quelques vers d’une acception mieux définie, souvenirs d’une époque évidemment plus récente. Puis tout à coup, et comme un retour vers un mysticisme plus douloureux ou plus hautain, il avait écrit, — sans doute par une rencontre fortuite avec le poète Longfellow, — Excelsior ! Excelsior ! Excelsior ! répétés avec un nombre indéfini de points d’exclamation. Puis, à dater d’une époque qu’on pouvait calculer approximativement par un rapprochement facile avec son mariage,