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«Il avait la tête grosse, le visage long et étroit, à la parisienne, le front fort découvert, le nez long, les yeux assez petits et un peu enfoncés, de couleur bleue tirant sur le gris, fort vifs; c’était la partie de son visage qui marquait le plus d’esprit. Il avait la bouche grande et fort fendue, le menton un peu pointu, le col haut et long. La couleur de son visage avait été d’un blanc pâle dans sa jeunesse, mais il était devenu fort rouge; il avait la voix grêle, les poumons faibles : c’est ce qui l’obligeait d’élever la voix dans la dispute, surtout lorsqu’il avait affaire à des personnes qui avaient de bons poumons. Il avait la démarche grande, mais elle n’était pas majestueuse, à cause qu’il paraissait tout d’une venue, tant il était maigre[1]. »


Cette description ne répond-elle pas fort bien à l’idée qu’on se fait de ces idéalistes, de ces solitaires, qui n’ont de corps qu’en projet, comme Saint-Martin le disait de lui-même, de ces contemplatifs chez qui la vie de l’âme gagne tout ce qui manque à la vie du corps? Ils ont peu de goût pour le monde, pour la conversation, pour la controverse. Le bonheur de Malebranche, c’était, au retour de Chantilly, de rentrer dans sa cellule de la rue Saint-Honoré et d’y construire en paix ses chers systèmes, un peu à la façon de Spinoza, quittant ainsi Condé ou Luxembourg pour retrouver sa chambrette chez le bonhomme Van der Spyck. Si tranquille que fût la maison de Malebranche, il la trouvait encore trop ouverte aux bruits du dehors. Il préférait le séjour de la campagne. Dès qu’il pouvait quitter Paris, il s’enfuyait aux champs, à Raray, dans les terres du marquis de Roucy, ou chez son disciple et ami le marquis d’Allemans. Il aimait fort aussi Marines, maison de l’Oratoire, près Pontoise, et c’est là qu’il écrivit, sur la prière de son ami le duc de Chevreuse, un livre austère et charmant, les Conversations chrétiennes. Les Méditations, commencées à Perseigne, abbaye cistercienne du diocèse du Mans, furent achevées à Raray, près de Senlis. A Raray aussi, il écrivit sa Morale et ses Entretiens sur la Métaphysique. Nos documens ne parlent pas de Juilly, où l’on montre pourtant un marronnier planté, dit-on, de la propre main de Malebranche.

Au surplus, qu’on ne s’y trompe pas, ce que Malebranche allait chercher hors de la ville, ce n’était pas la nature, c’était le silence. Dans un siècle où le sentiment de la vie champêtre a été rare, nul ne l’a eu moins que lui. Lisez ces livres, écrits au milieu des champs, il n’y a pas le moindre écho des harmonies de la nature, pas le plus léger parfum du printemps. Voici pourtant un passage qui semble nous contredire :

  1. Manuscrit d’Adry, IIe partie.