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SOUVENIRS
D’UN SIBÉRIEN
M. RUFIN PIOTROWSKI.

I.
UNE MISSION EN POLOGNE ET LES PRISONS RUSSES.

Il y a en Pologne un mot qui dépasse peut-être tout ce que l’éloquence humaine a su trouver pour donner un accent au désespoir; c’est le mot « à ne plus nous revoir! » qu’adresse d’ordinaire à sa famille, à ses amis, tout condamné politique au moment de s’acheminer vers la Sibérie. « A ne plus nous revoir!... » car le seul moyen de se retrouver encore avec ces êtres chéris, ce serait de les rencontrer un jour dans le même lieu de supplice, tant la conviction est grande qu’une fois déporté dans ces régions de douleur on ne les quitte plus, que la Sibérie ne lâche pas sa proie. Depuis bientôt un siècle, elle enlève à la Pologne ses enfans les plus généreux, ses femmes les plus dévouées. À ces contrées de neige et de sang se reporte la pensée de tout Polonais qui veut interroger les souvenirs de sa famille, et alors même que le poète rêve pour son pays un avenir de liberté et de bonheur, c’est encore la Sibérie qui se dresse devant lui, demandant des victimes même après la victoire[1].

  1. Voyez le Dernier, élégie polonaise du poète anonyme, dans la Revue du 1er novembre 1861.