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revienne, elle aussi, dans le presbytère de Gouda. C’est ce qu’elle fait, après une ombre de résistance, quand Gérard Eliassoen l’y convie, et véritablement, « honni soit qui mal y pense, » car ces deux cœurs, naturellement purs et sanctifiés encore par de longues infortunes, ne sauraient abriter une pensée coupable. En revanche, dans ce qu’elle a de légitime, l’ancienne affection survit tout entière, et telle est notre infirme nature qu’elle ne survit pas sans quelques retours alarmans, sans quelques troubles passagers. Lorsqu’avec le temps, pacifié graduellement et rasséréné, Gérard reprend à la vie, Marguerite, qui naguère encore lui donnait courage et force, Marguerite faiblit à son tour. Elle est triste et se sent envahie par une inexplicable lassitude. Des mots irritans, des reproches indirects lui viennent aux lèvres. Maintenant que son fils, envoyé à Deventer pour y commencer ses études, n’est plus là pour l’occuper et la distraire, il y a pour elle une certaine amertume dans sa victoire même, et il n’est pas certain que « le joyeux curé de Gouda » lui inspire toujours le même sentiment de vénération attendrie qu’elle portait au prédicateur enthousiaste, à l’ascète presque visionnaire. Elle l’accuse en secret d’avoir laissé se fermer la blessure qu’elle garde fidèlement, elle, tout en prenant soin de la voiler, au fond de son âme inguérissable. Une résignation pieuse et calme ne la surprendrait point, mais elle s’étonne et s’offusque d’une gaîté qui semble attester le plus complet oubli des douleurs passées. Catherine surprend en elle ces pensées amères. La bonne vieille mère de famille, toujours pratique, voudrait lai voir accomplir sa destinée en se donnant à un des nombreux prétendans qui sollicitent sa main.


« …… Je demanderai donc à Gérard si je le puis, lui répondit un jour Marguerite avec un soudain éclat de larmes… Je ne puis continuer à vivre ainsi.

« — Serez-vous vraiment assez simple pour lui demander, à lui, cette permission ?

« — Et me croyez-vous assez perverse pour me marier sans son aveu ?

« Elle partit donc, sans plus tarder, pour Gouda. Là, tête basse, toute rouge et tout en larmes, elle lui communiqua les conseils qu’elle avait reçus de sa mère. De ces deux riches marchands qui la voulaient épouser, voudrait-il lui dire lequel, à son avis, serait le meilleur pour le petit Gérard ? Quant à elle, peu lui importait ce qu’elle allait devenir…

« Une douce main s’insinuant au fond de sa poitrine pour lui arracher le cœur, telle fut l’impression produite sur Gérard par cette confidence inattendue ; mais en vertu d’un puissant effort le prêtre chez lui domina l’homme. D’une voix qu’on entendait à peine, il déclina la responsabilité du conseil qu’elle sollicitait. — N’étant ni un saint ni un prophète, lui dit-il, je pourrais te donner un avis malencontreux… J’officierai le jour de