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face des clubs, des insurrections quotidiennes, des journaux comme le Père Duchêne, et qui sérieusement jugeaient très urgent et très salutaire de remplacer les semaines par des décades, et les saints du calendrier par des noms de légumes! Franchement il ne s’agit plus là de morale et de responsabilité : on est dans le domaine de la pathologie ou de la physiologie; on est en présence d’un fait irrémédiable, d’un vice radical d’organisation, et ce vice, hélas! la crainte vient par momens qu’il ne soit le nôtre. En se rappelant le passé de la France et en voyant la fascination qu’exerce sur elle cette figure de Robespierre, on a peur d’apercevoir en lui, comme dans un miroir, la caricature héroïque de notre race, le reflet amplifié des défauts qui ont fait avorter nos efforts dans le passé, et qui sont peut-être le manè, thekel, pharès de notre avenir.

La tendance aux extrêmes, comme on dit par euphémisme, la disposition à se laisser dominer par un seul désir, au point de ne plus penser que pour chercher ce qui peut le satisfaire ou le légitimer, de ne plus pouvoir trouver mal que ce qui est mauvais pour lui, l’impossibilité enfin de rester en possession de sa raison et de sa conscience pour contrôler et régler ses penchans, n’est-ce pas là ce qui nous a empêchés d’atteindre la liberté, l’ordre, la paix et bien d’autres choses excellentes que d’autres nations ont su conquérir? Les individus et les partis qui chez nous ont exercé le pouvoir ou ont lutté contre lui n’ont pas eu de plus mauvais instincts que les mêmes classes d’hommes chez les peuples plus heureux; mais tous ont cédé à leur entraînement naturel avec moins de clairvoyance, avec moins de retenue, et tous sont arrivés plus rapidement à se discréditer et à se rendre intolérables. C’est cette incontinence qui a perdu notre aristocratie en faisant d’elle une caste exclusive plus occupée de défendre ses privilèges que d’associer la cause du peuple à la sienne; c’est elle qui a perdu notre royauté en l’entraînant à se permettre les lettres de cachet, les parcs aux cerfs, la destruction de tous les corps indépendans, la prétention de disposer arbitrairement de tous les intérêts, si bien qu’à la fin tous les intérêts et toutes les classes se sont trouvés réunis contre elle. C’est encore la même incontinence qui a ruiné chez nous l’empire de la religion en ne laissant à l’église que des fidèles qui n’auraient pas osé douter du miracle le plus ridicule, des pasteurs qui, pour attirer plus de monde, n’ont pas regardé de près à la qualité des moyens, des docteurs qui, afin d’empêcher plus radicalement l’hérésie, n’ont pas craint les excès d’autorité sous lesquels la foi périt fatalement avec la liberté de la pensée religieuse. C’est toujours la même cause qui jusqu’ici a frappé la nation elle-même d’impuissance, en la faisant passer sans cesse d’une fièvre de dérèglement à une fièvre de réglementation, d’une