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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/958

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lution n’était que la fin et la banqueroute de l’ancien régime, elle n’était qu’une application dernière des idées du passé, du même esprit qui avait amené le despotisme des rois, et qui est en soi le principe de toute servitude, parce que, sous son vrai nom, il est simplement l’esprit de domination.

« Pour ma part, écrivait M. de Tocqueville, je ne connais qu’un seul moyen de faire passer la royauté à l’état de pouvoir électif: il faut rétrécir d’avance sa sphère d’action, diminuer graduellement ses prérogatives et habituer peu à peu le peuple à vivre sans son aide; mais c’est ce dont les républicains d’Europe ne s’occupent guère. Comme beaucoup d’entre eux ne haïssent la tyrannie que parce qu’ils sont en butte à ses rigueurs, l’étendue du pouvoir exécutif ne les blesse point; ils n’attaquent que son origine, sans apercevoir le lien qui unit les deux choses. » Les républicains de 93 ou de 89 en tout cas ne songeaient certes pas à émanciper les individus de la domination de l’état. Quoi qu’ils aient pu croire, jamais ils n’ont visé à instituer la liberté, à organiser le libre concours de toutes les opinions présentes et futures, le droit pour le pays de faire ses affaires comme il l’entendrait à chaque instant. Bien au contraire, la révolution n’a été qu’un effort pour établir dans les esprits et dans les faits la souveraineté du peuple, l’absolutisme de la démocratie. Elle a rendu électif le pouvoir central, afin qu’il représentât la volonté du plus grand nombre, et elle a ensuite étendu plus que jamais ses attributions; elle a centralisé entre ses mains l’administration du moindre détail aussi bien que le gouvernement général; elle a voulu qu’il cumulât non-seulement l’autorité législative et la puissance exécutive, mais encore le privilège dictatorial d’ordonner et de frapper sans lois et sans jugemens préalables, au nom du salut public; elle s’est appliquée enfin à détruire autour de lui tout ce qui restait de corps indépendans et de rouages locaux, états provinciaux, parlemens, corporations, justices seigneuriales, etc., le tout afin que la volonté du peuple ne rencontrât aucun obstacle, et que désormais le pays formât littéralement un être unique dont cette volonté serait le cœur et le cerveau, dont tous les muscles et les nerfs n’aboutiraient qu’à elle et ne seraient mis en jeu que par elle. Bien plus, tout ce dévouement apparent à la démocratie n’était pas encore la vraie pensée de la révolution. En réalité, elle n’était nullement disposée à se contenter du règne des majorités, quelle que put être leur opinion. La souveraineté du peuple était pour elle un moyen en vue d’une autre fin : si elle la voulait, c’était simplement parce qu’elle en attendait la réalisation de ses théories politiques, parce que, avec sa foi aveugle en ses axiomes, elle était convaincue que le peuple, une fois souverain et délivré