science. Strénitz reçut en pleine poitrine un coup d’épée qui le jeta tout sanglant sur un fit de feuilles sèches; son cœur avait été traversé, il ne put même pas proférer ce dernier cri qui contient peut-être un appel tout-puissant à la miséricorde divine. Un terrible silence s’établit sur ses lèvres, qui se serrèrent d’une manière convulsive, et son visage prit sur-le-champ cette teinte que les Allemands appellent couleur de violette. Il était tombé pour toujours dans la nuit éternelle. Son gendre, en se penchant sur lui, sentit qu’il se penchait sur cet abîme au fond duquel réside l’inconnu. Laërte eut le courage toutefois de prendre ce cadavre et de le reporter jusqu’à sa voiture. Il regagna Vienne en compagnie de cette affreuse chose qu’il ramenait à la place d’un homme.
Mais ce qui distinguait Zabori d’un poète, c’est qu’il y avait dans ce singulier esprit une aptitude de tous les instans à la vie pratique. Tout en sentant qu’il avait le droit de se livrer près de cette dépouille mortelle à des monologues plus désespérés que ceux de Manfred et d’Hamlet, Laërte porta sa pensée sur la série d’actes prompts et décisifs que lui imposait sa situation. Ainsi il se rendit tout d’abord chez le grand fonctionnaire qui répond en Autriche à notre ancien ministre de la police. Il réveilla ce personnage, qui avait été un des amis les plus intimes du prince Strénitz; il lui raconta ce qui venait de se passer, et lui dit qu’à la porte, dans sa voiture, il avait le cadavre de son beau-père. On connaît l’épouvante, fort naturelle du reste, que tout scandale inspire aux pays où règne l’autorité absolue : quand on commande à des nations endormies, on craint tout ce qui peut amener un réveil. L’homme prudent à qui alla s’adresser Laërte, surmontant l’horreur dont il était pénétré, résolut d’empêcher à tout prix que le combat presque parricide dont on lui annonçait le résultat parvînt à la connaissance du public; des hommes sûrs allèrent prendre dans la voiture de Zabori le cadavre du prince Strénitz, et déposèrent précieusement ce fardeau dans un appartement retiré du ministre autrichien. Ce ministre sortit pour aller prendre les ordres de l’empereur en prescrivant à Laërte de l’attendre. Au bout de quelques heures, l’homme d’état reparut et apprit au meurtrier ce qu’on avait décidé. Le prince Strénitz serait censé être mort d’une attaque d’apoplexie dans le cabinet de son ami le ministre, où une affaire de la plus haute importance l’aurait amené à une heure matinale. Cependant Laërte ne resterait pas en Allemagne. Malgré les précautions prises pour effacer les traces du meurtre, ces traces pourraient reparaître sous les pas du meurtrier. Puis il y a des situations monstrueuses que nulle raison d’état ne peut protéger. Laërte devait désirer lui-même ne plus se représenter devant sa femme. Le jeune homme accepta sans résistance la décision qui lui était transmise, et c’est ainsi que furent réglées