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des établissemens militaires ne préoccupe pas seulement nos modestes commissions du budget. C’est la question à l’ordre du jour dans tous les pays dont les préparatifs de guerre ont ruiné ou grevé les finances. Cette question avait semblé mûrir considérablement en Angleterre dans ces derniers temps. La situation pénible où la crise américaine a placé l’industrie anglaise, les souffrances des ouvriers du Lancashire, forment, avec les charges imposées au pays pour subvenir aux dépenses de la marine et de l’armée, un contraste qui de jour en jour choque davantage un certain nombre d’hommes politiques parmi nos voisins. Nous avons signalé les deux discours importans par lesquels M. Disraeli avait, depuis un mois et demi, dénoncé cette douloureuse anomalie. Le spirituel orateur n’avait fait jusque-là que de simples reconnaissances, sans engager avec lord Palmerston de bataille décisive. Ce n’était point encore un assaut, c’était un travail d’approche. M. Disraeli donnait à méditer au pays le thème de l’économie ; il prenait les devans sur un terrain où assurément il devait rencontrer un jour et appeler même par son initiative cette section de la chambre des communes qui a pour représentans les plus illustres MM. Bright et Cobden, et dont la réduction des dépenses militaires est le mot d’ordre, on pourrait dire la monomanie. La tactique de M. Disraeli vient d’être déroutée avec éclat par un habile et vigoureux coup de main de lord Palmerston. Dans cette affaire d’armemens, il fallait du temps encore à M. Disraeli pour décider un grand nombre de ses amis à offrir le combat au ministère, au risque d’avoir pour auxiliaires dans le vote qui porterait un coup fatal à lord Palmerston les radicaux et l’école de MM. Bright et Cobden. C’est ce que le rusé chef du cabinet a compris : il a brusqué la lutte pour la faire avorter. La troisième discussion ouverte sur la question des armemens et la nécessité de réduire les dépenses a donné lieu à la scène la plus piquante et au débat le plus singulier qui se soient produits à la chambre des communes dans le cours de cette session.

Les radicaux, les libéraux de l’école économique, voyant M. Disraeli s’établir sur la position de la réduction des dépenses, n’avaient pas voulu rester en arrière. Un des membres les plus distingués de cette section, M. Stansfeld, présenta une motion pour réclamer la diminution des dépenses. Cette motion devait être discutée dans la séance du 3 juin. Lord Palmerston avait annoncé qu’il présenterait un amendement à la formule de M. Stansfeld. Les tories de leur côté décidèrent dans une réunion que l’un de leurs chefs, M. Walpole, proposerait aussi un amendement au nom de leur parti ; il paraissait logique en effet qu’ils voulussent avoir le bénéfice d’un débat politique entamé depuis plusieurs semaines par leur leader. La situation ainsi dessinée devenait menaçante pour le ministère. Les amendemens des membres de la chambre ayant la priorité sur ceux du gouvernement, le tour probable que prendraient les choses serait celui-ci : la motion radicale de M. Stansfeld, étant combattue par le gouvernement et