Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/1033

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses idées ne sont ni très nombreuses, ni très accusées. Qu’il compose des symphonies, dès quatuors, des scènes dramatiques, des concertos et des sonates, Mendelssohn a toujours le travail pénible. Il prélude longtemps, il cherche, et ne vous cache pas que l’art est difficile, que la nature ne l’a pas doué de l’une de ces organisations puissantes et généreuses qui n’ont qu’à secouer leurs ailes pour s’élancer dans les cieux. Mendelssohn, plein de foi dans l’art qui a illustré son nom, fut un esprit cultivé, une organisation délicate, un caractère soucieux, une nature maladive, qui a traversé la vie avec effort, en laissant après elle une œuvre considérable où manquent la grandeur et la sérénité divine des grands maîtres.

Soit que les voix ne fussent pas assez nombreuses ou que les choristes des deux sexes fussent mal distribués dans cette grande salle du Cirque-Napoléon, il est de fait que l’exécution d’Elie a laissé beaucoup à désirer. Les nuances si nécessaires dans une pareille composition ont été peu observées, et l’orchestre lui-même a manqué de vigueur. Les soli ont été bien rendus par Mme Viardot, par M. Cazeaux et par M. Michot, de l’Opéra, dont la charmante voix de ténor a fait merveille dans le bel air d’Abdias.

La fondation des Concerts populaires de musique classique est un événement qui fait le plus grand honneur à l’activité intelligente de M. Pasdeloup. On a pu voir un public de quatre mille auditeurs écouter avec onction, avec piété et enthousiasme les chefs-d’œuvre de la musique instrumentale. Ce beau spectacle a frappé tous les bons esprits, tous ceux qui sont dignes de comprendre les merveilles d’un art puissant, sociable surtout, et éminemment civilisateur[1].

À côté de la Société des Concerts et des Concerts populaires de musique classique se placent les différentes sociétés de quatuors dont la première et la plus ancienne est celle de MM. Alard et Franchomme. C’est dans les salons de la maison Pleyel que ces artistes d’élite se réunissent tous les quinze jours pour exécuter avec une rare perfection les chefs-d’œuvre de la musique de chambre. Les séances de MM. Alard et Franchomme sont la miniature des concerts du Conservatoire. On y trouve le même fini et la même réserve dans le choix des morceaux qu’ils admettent sur leur programme. Les séances de MM. Maurin et Chevillard, particulièrement consacrées à la musique de Beethoven, soutiennent leur bonne renommée et continuent à intéresser vivement les amateurs. On doit bien de la reconnaissance à ces braves et vaillans artistes, MM, Maurin et Chevillard, qui depuis douze ans ont consacré leurs efforts à rendre intelligibles les beautés profondes, mais ardues, des dernières compositions de Beethoven.

La société de quatuor de MM. Armingaud et Léon Jacquard, plus exclusivement consacrée à l’exécution de la musique de Mendelssohn et même à celle de Robert Schumann, continue à réunir dans les salons de la maison

  1. Je n’ai pas été peu surpris de lire dans un travail de M. de Laprade ces lignes tout à fait curieuses ; « Qu’on le sache bien, dit-il, aujourd’hui que la musique a saisi la prédominance, cet art est dans son essence le plus sensuel, le plus envahissant et le plus dangereux de tous les arts… C’est un art anti-héroïque et anti-social !… » C’est dans le Correspondant que M. de Laprade a publié ces observations d’un si grand sens et d’une vérité si frappante !