Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/1041

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il ne s’agit pas ici d’une nécessité absolue, mais d’une nécessité de convenance, que personne ne soutient qu’un monde fini implique contradiction, mais seulement qu’il est plus digne de Dieu de créer un monde infini ; que, si c’est un argument fataliste, il faut accuser de fatalisme tout l’optimisme de Leibnitz et toute doctrine qui ne reconnaît pas la liberté absolue d’indifférence, qui soutient que l’action de Dieu est subordonnée à sa sagesse et à sa raison ; ce qui est le théisme même. Or, si on va jusque-là, ce n’est plus l’infinité de la création qui est en jeu, c’est la création elle-même ; la question est donc déplacée, et l’objection ne porte plus contre la thèse particulière dont il s’agit, mais contre une autre beaucoup plus générale. On soutient en outre que c’est favoriser le panthéisme que de chercher dans l’essence de Dieu les raisons déterminantes de la création, c’est-à-dire de raisonner a priori sur la constitution de l’univers ; mais cette objection revient à la précédente : autre chose est déduire géométriquement le monde de Dieu, comme l’a fait Spinoza, autre chose tirer de la considération des perfections divines des présomptions sur les causes et les fins de la création. Quant à la seconde classe d’objections, où le contradicteur essaie de démontrer que l’idée de chose créée et l’idée d’infini sont contradictoires, elles sont empruntées soit aux mathématiques, soit aux parties les plus subtiles de la métaphysique. Nous ne suivrons pas la controverse sur ce terrain tout spécial. Ici encore d’ailleurs M. Saisset nous semble conserver l’avantage.

En résumé, la doctrine religieuse exposée par M. Saisset se réduit à trois propositions : 1° l’existence de Dieu est une vérité d’intuition, et les diverses démonstrations que l’on en donne ne sont que les analyses du mouvement naturel de l’esprit qui nous porte vers Dieu ; 2° Dieu se distingue du monde par la pensée et par la conscience de soi ; 3° le monde exprime l’infinité absolue de Dieu par son infinité relative, c’est-à-dire par l’extension illimitée dans le temps et dans l’espace. De ces trois propositions, nous admettons entièrement la seconde et sans aucune réserve, nous admettons également la première avec un peu plus de complaisance que M. Saisset pour les preuves classiques de l’existence de Dieu ; quant à la troisième, elle a nos préférences, mais non pas notre adhésion, les principes de Descartes nous défendant d’affirmer ce qui n’est pas entièrement évident. Cependant nous ne pouvons que louer M. Saisset de cette noble ambition métaphysique, qui ne recule pas devant les problèmes et ne se laisse pas enchaîner dans les liens d’une doctrine convenue. La philosophie n’a pas le bonheur des sciences positives et exactes, où l’on ne fait jamais un pas en avant sans avoir assuré le pas précédent. C’est en courant des risques et des hasards de toute nature que le métaphysicien peut hâter les progrès de la science. Le mérite de la théorie de M. Saisset sera de nous amener à réfléchir plus profondément sur les différences de l’infini et de l’absolu, et peut-être ces différences bien analysées amèneront-elles quelques conséquences notables.

Quoi qu’il en soit, des livres comme celui-ci, comme d’autres encore inspirés par des principes différens, prouvent que la métaphysique ne veut pas se résoudre à mourir, ainsi que le prédisent chaque jour les prophètes de l’avenir. À la fin même du XVIIIe siècle, quand toute philosophie était réduite