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semblât à un parti-pris hostile et systématique. Il y règne au contraire un grand désir d’impartialité, de justice stricte et sévère, de modération et de bienveillance. Tout ce qui est dit dans les deux premiers volumes peut se dire en pleine sécurité de conscience, les sentimens qui y sont exprimés sont ceux que tout honnête homme, à quelque parti qu’il appartienne, pourvu qu’il porte un cœur humain, doit être fier de posséder. J’amnistie donc pleinement ce premier épisode de l’accusation de socialisme. Est-ce à dire que j’étends par avance cette amnistie à l’œuvre entière? Non, puisque cette œuvre nous est encore inconnue. Les grosses questions de morale et de philosophie sociale que soulève la donnée d’un tel livre doivent être pour le moment mises à l’écart. Nous imiterons la réserve de l’auteur, qui semble avoir compris que son livre devait être jugé par ses conclusions dernières, puisque, contrairement à son habitude bien connue, il s’est abstenu de plaider lui-même la cause de son œuvre. Pour toute introduction, M. Victor Hugo s’est contenté d’une préface de dix lignes, solennelles et tristes, qui sont comme un appel fait d’une voix sourde et grave à ces sentimens d’humanité et de pitié que tout homme doit porter en lui. L’auteur se présente à nous en nous proposant non de discuter avec lui, mais de nous laisser émouvoir. Nous suivrons ses conseils, et nous ne franchirons pas, jusqu’à plus ample information, les domaines de la pure littérature. Il nous suffira de noter franchement les impressions bonnes ou mauvaises que nous a données ce voyage douloureux auquel il nous invite, et dont il nous fait franchir aujourd’hui la première étape. Donc, sans plus ample préambule, entrons immédiatement dans l’examen littéraire du récit.

Le livre des Misérables s’ouvre par le portrait minutieusement et amoureusement tracé d’un juste et d’un véritable pasteur évangélique, Mgs Myriel, évêque de D..., pseudonyme transparent sous lequel est caché, me dit-on, le nom vénéré et béni de Mgr Miollis, évêque de Digne au commencement de ce siècle. Toute cette première partie est pleine de calme, de douceur et de paix religieuse. C’est une heureuse et noble pensée que d’avoir placé la figure du saint évêque Myriel à l’entrée de ce sombre livre. Nous dirions volontiers, en imitant le style familier à l’auteur, qu’avant de nous montrer les ténèbres de l’âme humaine, il était bien de nous en montrer la lumière, une douce lumière, calme, bienfaisante, à la fois pure comme une aurore et attendrie comme un crépuscule. Ce pauvre palais épiscopal que l’hôpital a envahi et qu’habite la charité, ce palais sous lequel sont abrités, pansés et guéris ceux que, dans son mystique langage, l’église appelle les membres souffrans de Jésus-Christ, cette maison où l’on bénit, où l’on console, où l’on