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heures. Cette enjambée exorbitante, je la fis cependant, mais avec des effrois et des éblouissemens que je ne saurais vous dire, et ce qui m’étonna le plus quand j’eus acquis le degré de lucidité voulue pour comprendre pleinement les leçons d’Olivier, ce fut de comparer les chaleurs qui m’en venaient avec la froide contenance et les calculs savans de ce soi-disant amoureux.

Quelques jours après, il me montrait une lettre sans signature.

— Vous vous écrivez ? lui demandai-je.

— Cette lettre, me dit-il, est le seul billet que j’aie reçu d’elle, et je n’ai pas répondu.

La lettre était à peu près conçue en ces termes :

« Vous êtes un enfant qui prétendez agir comme un homme, et vous avez doublement tort de vous vieillir. Les hommes, quoi que vous fassiez, seront toujours meilleurs ou pires que vous n’êtes. Je vous crois à plaindre, car vous êtes seul, et je vous estime assez pour admettre que vous devez en effet souffrir d’être privé d’une amitié vigilante et tendre ; mais vous feriez mieux de parler à cœur ouvert que de vous confier un jour à l’improviste à quelqu’un qui vous apprécie, et puis de vous taire. Je ne vois ni le bien que j’ai pu vous faire en écoutant vos confidences, ni le but que vous vous proposez en ne les renouvelant plus. Vous avez trop de raison pour un âge dont l’ingénuité est à la fois le seul attrait et la seule excuse, et, si vous aviez autant d’abandon que de sang-froid, vous seriez plus intéressant et surtout plus heureux. »

Malgré ces rares accès de franchise auxquels il cédait par caprice, je n’étais qu’à demi dans les confidences d’Olivier. Quoiqu’à peu près de mon âge et inférieur à moi sur beaucoup de points sans doute, il me trouvait un peu jeune, comme il disait, sur les questions de conduite qui s’agitaient dans son esprit. C’était à peine si je pouvais accepter le premier mot du dessein qu’il entendait poursuivre jusqu’à la pleine satisfaction de son amour-propre ou de son plaisir. Je le voyais toujours aussi calme, libre d’esprit, prompt à tout, avec son aimable visage aux accens un peu froids, ses yeux impertinens pour tous ceux qui n’étaient pas ses amis, et ce sourire rapide et très séduisant dont il savait faire avec tant d’à-propos tantôt une caresse et tantôt une arme. Il n’était aucunement triste et pas beaucoup plus distrait, même dans les circonstances où, de son propre aveu, son imperturbable confiance avait un peu souffert. Le dépit ne se traduisait chez lui que par une sorte d’irritabilité plus aiguë, et ne faisait pour ainsi dire qu’ajouter un ressort de trempe plus sèche à son audace.

— Si tu crois que je vais me rendre malheureux, tu te trompes, me disait-il à quelque temps de là, dans un de ces momens de