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Ce défilé retentissant d’hommes armés et de grands chevaux chaussés de fer fit rendre au pavé sonore un bruit de métal, et tout se confondit au loin dans le brouillard lumineux des torches.

Olivier s’assura de la direction que prenaient les attelages ; puis, quand la dernière voiture eut disparu : — C’est bien cela, dit-il avec la satisfaction d’un homme qui connaît son Paris et qui le retrouve, le roi va ce soir aux Italiens.

Et malgré la pluie qui tombait, malgré le froid blessant de la nuit, quelque temps encore il resta penché sur cette fourmilière de gens inconnus qui passaient vite, se renouvelaient sans cesse, et que mille intérêts pressans semblaient tous diriger vers des buts contraires.

— Es-tu content ? lui dis-je.

Il poussa une sorte de soupir de plénitude, comme si le contact de cette vie extraordinaire l’eût tout à coup rempli d’aspirations démesurées.

— Et toi ? me dit-il.

Puis, sans attendre ma réponse : — Oh ! parbleu, toi, tu regardes en arrière. Tu n’es pas plus à Paris que je n’étais à Ormesson. Ton lot est de regretter toujours, de ne désirer jamais. Il faudrait en prendre ton parti, mon cher. C’est ici qu’on envoie, au moment de leur majorité, les garçons dont on veut faire des hommes. Tu es de ce nombre, et je ne te plains pas ; tu es riche, tu n’es pas le premier venu, et tu aimes ! ajouta-t-il en me parlant aussi bas que possible. — Et avec une effusion que je ne lui avais jamais connue, il m’embrassa et me dit : — À demain, cher ami, à toujours !

Une heure après, le silence était aussi profond qu’en pleine campagne. Cette suspension de vie, l’engourdissement subit et absolu de cette ville enfermant un million d’hommes, m’étonna plus encore que son tumulte. Je fis comme un résumé des lassitudes que supposait cet immense sommeil, et je fus saisi de peur, moins par un manque de bravoure que par une sorte d’évanouissement de ma volonté.

Je revis Augustin avec bonheur. En lui serrant la main, je sentis que je m’appuyais sur quelqu’un. Il avait déjà vieilli, quoiqu’il fût très jeune encore. Il était maigre et fort blême. Ses yeux avaient plus d’ouverture et plus d’éclat. Sa main toute blanche à peau plus fine s’était épurée pour ainsi dire et comme aiguisée dans ce travail exclusif du maniement de la plume. Personne n’aurait pu dire, à voir sa tenue, s’il était pauvre ou riche. Il portait des habits très simples et les portait modestement, mais avec la confiance aisée venue du sentiment assez fier que l’habit n’est rien.

Il accueillit Olivier pas tout à fait comme un ami, mais plutôt comme un jeune homme à surveiller et avec lequel il est bon d’at-