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REVUE MUSICALE.

La saison musicale touche à sa fin, et les théâtres lyriques vont bientôt passer de l’activité fiévreuse de l’hiver aux loisirs de l’été. Le Théâtre-Italien a déjà formé ses portes, et le Théâtre-Lyrique ne prolonge pas sa carrière au-delà du mois de juin. Il est probable cependant que la grande exposition de Londres amènera à Paris un nombre plus ou moins considérable de curieux qui, après avoir admiré au-delà du détroit les merveilles de l’industrie et de l’activité humaines, viendront chercher dans la capitale de la France des plaisirs plus délicats. Que pourra offrir l’Opéra à ces oisifs de haut lignage ? Est-ce la Reine de Saba, qui se traîne sur l’affiche et qu’on donne encore de temps en temps pour la satisfaction intime de quelques personnages qui n’ont pas désespéré de l’avenir de la dernière œuvre de M. Gounod ? Est-ce Pierre de Médicis, qu’on a repris il y a une quinzaine de jours pour l’agrément de M. le prince Poniatowski, qui en a composé la musique, et où Mlle Sax a pris le rôle que chantait Mme Gueymard ? Mme Sax possède une voix de soprano solide, vigoureuse, dont elle ne sait trop que faire. Si, au lieu de pousser des cris pour exciter l’admiration des applaudisseurs à gages. Mlle Sax apprenait un peu à chanter, à modérer son ardeur, à nuancer l’expression de sa joie et de son amour, cette femme docile et de bonne complexion serait une excellente conquête pour l’Opéra, qui consomme tant de voix, et qui n’a pas un chanteur d’un mérite saillant. Cependant on parle de reprendre bientôt à l’Opéra le Moïse de Rossini ; à la bonne heure ! Reprenez donc les chefs-d’œuvre, puisque aussi bien vous n’avez rien de mieux à montrer aux passans ; reprenez-les et montez-les avec le soin et le respect qu’on doit aux belles choses. C’est ce qui manque à l’Opéra, une exécution soignée dans tous les détails, de bons ensembles et de la discipline dans cette vaste machine, où l’on pourrait faire des miracles, s’il y avait là de vrais croyans.

L’Opéra-Comique se remue beaucoup depuis que M. Émile Perrin en a repris la direction, au grand contentement des hommes de goût. Il a inauguré son nouveau gouvernement par la reprise de Giralda, imbroglio très amusant de Scribe et Adolphe Adam. Cela remonte à l’an de grâce 1850, où l’auteur du Chalet et du Postillon de Lonjumeau improvisa cette jolie partition en trois actes, remplie de rhythmes guillerets, de bonne humeur, de lieux-communs et de quelques jolis morceaux, tels que le duo syllabique du premier acte, celui des deux amans, le finale du second acte et le quintette bouffe du troisième. Adam fut un musicien facile et naturel, qui, sans élever très haut ses prétentions et son style, a su créer à la suite de M. Auber et de Rossini, qu’ils ont tous imité, une œuvre qui a sa physionomie dans l’école française, fille ou sœur de l’école italienne, car, qu’on ne s’y trompe pas, depuis Duni jusqu’à Grétry, et depuis Grétry, Dalayrac, jusqu’à M. Auber, Méhul excepté, qui procède de Gluck, tous les compositeurs français du genre éminemment national de l’opéra-comique marchent à la suite des maîtres italiens, qu’ils imitent sans servilité, comme des hommes qui