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flattaient de la rendre désormais indissoluble. Au milieu de ce monde noble, riche et élégant, bercé de généreuses illusions, qui reprenait légèrement possession de la vie en se livrant de nouveau aux douces jouissances des relations sociales, aux plaisirs délicats des conversations intimes, comment les femmes n’auraient-elles pas été conviées à ressaisir, elles aussi, leur rôle accoutumé? Elles n’eurent garde d’y manquer. Les salons de Vienne, rendez-vous général de l’aristocratie européenne, reçurent ainsi les lois aimables de plusieurs grandes dames célèbres à cette époque par leur esprit et leur beauté. Le témoignage des contemporains nous les montre tantôt étincelantes de parures, donnant dans quelques fêtes splendides le signal animé des plaisirs, tantôt dirigeant doucement, au sein de quelque cercle intime, des entretiens familiers et paisibles, mais toujours et parlent entourées d’hommages, et la plupart du temps, sinon occupées à se mêler directement de politique, habiles du moins à faire pénétrer leur douce influence jusque dans l’âpre région des affaires, et par leur gracieuse intervention soigneuses de rapprocher autant que possible les uns des autres leurs divers admirateurs. Le nombre en était grand, car l’étiquette en cette matière ne réglait point les rangs; les souverains eux-mêmes, quelques-uns jeunes et galans, avaient eu hâte de s’en affranchir. L’empereur Alexandre en particulier, resté beau et toujours amoureux des aimables distractions, se piquait de se plaire dans la société des dames. Il ne craignait pas de disputer leurs bonnes grâces et de paraître céder parfois à leur empire. De tels exemples ne pouvaient manquer de rencontrer beaucoup d’imitateurs, et la simplicité de mœurs propre à la haute société autrichienne se prêtait d’ailleurs merveilleusement à cet agréable et facile commerce. Les Viennoises ne furent pas seules à faire en cette circonstance les honneurs de leur capitale. Le corps diplomatique comptait aussi plus d’une étrangère qui présidait avec une aisance égale et un charme non moins vif aux soirées des diverses ambassades. On eût dit que toutes les nations qui avaient tenu à envoyer au congrès leurs négociateurs les plus illustres avaient eu également à cœur, la France surtout, de s’y faire en même temps représenter par quelque type accompli de grâces féminines mises au service du tact le plus fin, du jugement le plus sûr et du plus judicieux esprit.

M. de Gentz fait donc preuve, selon nous, d’un formalisme à tout le moins un peu sévère, lorsque, dans le journal que nous avons déjà cité, il reproche assez rudement au chancelier de l’empire d’Autriche d’avoir perdu beaucoup de son temps en si charmante compagnie. Le zèle du publiciste allemand va si loin qu’il ne peut s’empêcher de s’étonner et de se plaindre chaque fois que M. de Metternich, au lieu de lui communiquer ses plans pour le futur