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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/384

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monde consentait à l’établissement de la commission, et que l’on n’y faisait d’autre objection, sinon que l’on s’opposait à ce qu’il y eût un plénipotentiaire français. « Qui s’y oppose ? » demandai-je vivement à lord Stewart. Il me dit : « Ce n’est pas mon frère. — Et qui donc ? » repris-je. Il me répondit en hésitant : « Mais ce sont… » et il finit par bégayer le mot d’alliés. À ce mot, toute patience m’échappa, et, sans sortir dans mes expressions de la mesure que je devais garder, je mis dans mon accent plus que de la chaleur, plus que de la véhémence. Je traçai la conduite que, dans des circonstances telles que celles-ci, l’Europe avait dû s’attendre à voir tenir par les ambassadeurs d’une nation telle que la nation anglaise, et, parlant ensuite de ce que lord Castlereagh n’avait cessé de faire depuis qu’il était à Vienne, je dis que sa conduite ne resterait point ignorée, qu’elle serait jugée en Angleterre comme elle le méritait, et j’en laissai entrevoir les conséquences pour lui. Je ne traitai pas moins sévèrement lord Stewart lui-même pour son dévouement aux Prussiens, et je finis par déclarer que, s’ils voulaient toujours être des hommes de Chaumont et faire toujours de la coalition, la France devait au soin de sa propre dignité de se retirer du congrès, et que, si la commission projetée se formait sans qu’un plénipotentiaire français y fût appelé, l’ambassadeur de votre majesté ne resterait pas un seul jour de plus à Vienne. Lord Stewart, interdit et avec l’air alarmé, courut chez son frère. Je l’y suivis quelques momens après ; mais lord Castlereagh n’y était pas[1]. »


Si effarouché qu’au premier abord lord Castlereagh eût été de l’offre d’alliance de M. de Talleyrand, il ne devait pas tardera l’accepter bientôt. Ce qui le détermina, ce fut la nouvelle reçue dans les derniers jours de décembre que la guerre avait cessé entre l’Angleterre et les États-Unis. Les cabinets de Londres et de Washington, après diverses alternatives de succès et de revers, venaient de signer la paix sous la médiation de la Hollande. Le gouvernement anglais, débarrassé d’une lutte dont l’issue lui avait causé de sérieuses inquiétudes, recouvrait la libre disposition de ses forces. Son représentant se sentait autorisé à prendre désormais un ton plus décidé, et, ce qui ne lui importait pas moins, en état de mettre ses actes au niveau de ses paroles. Au sortir d’une conférence où l’attitude des Russes et des Prussiens avait été plus que jamais absolue et hautaine, lord Castlereagh exaspéré dressa lui-même un projet de traité qui, légèrement modifié, reçut le 3 janvier 1815, avec sa signature, celles des ministres des affaires étrangères de la France et de l’Autriche.


« Par ce traité, il était convenu que les parties contractantes s’engageaient à agir de concert et avec désintéressement pour donner suite aux stipulations du traité de Paris, et à se tenir toutes trois pour attaquées, si les possessions d’une seule venaient à l’être ; si l’une d’entre elles se trouvait menacée, les autres interviendraient en sa faveur, d’abord à l’amiable,

  1. Lettre particulière de M. de Talleyrand un roi Louis XVIII, 28 décembre 1814.