Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leux, de problèmes à l’état d’espérances, de générosités en mouvement qui devaient se condenser plus tard et former ce qu’on appelle aujourd’hui le ciel orageux de la politique moderne. Mon imagination, à demi matée, pas du tout éteinte, trouvait là de quoi se laisser séduire. La situation d’homme d’état était, à l’époque dont je vous parle, le couronnement nécessaire, en quelque sorte l’avènement au titre d’homme utile, pour tout homme de génie, de talent, ou seulement d’esprit. Je m’épris de cette idée de devenir utile après avoir été si longtemps nuisible. Et quant à l’ambition d’être illustre, elle me vint aussi par momens, mais Dieu sait pour qui ! — Je fis d’abord une sorte de stage dans l’antichambre même des affaires publiques, je veux dire au milieu d’un petit parlement composé de jeunes volontés ambitieuses, de très jeunes dévouemens tout prêts à s’offrir, où se reproduisait en diminutif une partie des débats qui agitaient alors l’Europe. J’y eus des succès, je puis le dire sans orgueil aujourd’hui que notre parlement lui-même est oublié. Il me sembla que ma route était toute tracée. J’y trouvais à déployer l’activité dévorante qui me consumait. Je ne sais quel insurmontable espoir me restait de retrouver Madeleine. Ne m’avait-elle pas dit : « Adieu ou au revoir ? » J’entendais qu’elle me revît meilleur, transformé, avec un lustre de plus pour ennoblir ma passion. Tout se mêlait ainsi dans les stimulans qui m’aiguillonnaient. Le souvenir acharné de Madeleine bourdonnait au fond de mes soi-disant ambitions, et il y avait des momens où je ne savais plus distinguer, dans mes rêves anticipés de gouvernement, ce qui venait du philanthrope ou de l’amoureux.

Quoi qu’il en soit, je me résumai d’abord dans un livre qui parut sous un nom fictif. Quelques mois après, j’en lançai un second. Ils eurent l’un et l’autre beaucoup plus de retentissement que je ne le supposais. En très peu de temps, d’absolument obscur, je faillis devenir célèbre. Je savourai délicatement ce. plaisir vaniteux, furtif et tout particulier, de m’entendre louer dans la personne de mon pseudonyme. Le jour où le succès fut incontestable, je portai mes deux volumes à Augustin. Il m’embrassa de tout son cœur, me déclara que j’avais un grand talent, s’étonna qu’il se fût révélé si vite et du premier coup, et me prédit comme infaillibles des destinées à me faire tourner la tête. Je voulus que Madeleine eût l’avant-goût de ma célébrité, et j’adressai mes livres à M. de Nièvres. Je le priais de ne pas me trahir ; je lui donnais de ma retraite une explication plausible ; elle devenait à peu près excusable depuis qu’il était avéré qu’elle avait un but. La réponse de M. de Nièvres ne contenait guère que des remercîmens et des éloges calqués sur des bruits publics. Madeleine n’ajoutait pas un mot aux remercîmens de son mari.