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parts on contractait un mariage de raison. Et George, le silencieux, l’avisé, le prévoyant, craignait les fantaisies de la terrible épousée. A Saint-James, à Windsor, il se sentait comme en hôtel garni. Son vrai chez lui était aux bords chéris de la Leine et de l’Ilhme, dans ce palais d’Herrenhausen, où durant ses absences son portrait, le remplaçant sur son trône, recevait chaque dimanche la visite empressée et les graves génuflexions des courtisans, imperturbables dans leur fidélité germanique. Mais après tout l’Angleterre payait bien, et il fallait la bien servir. La bien servir n’était pas difficile, puisqu’elle ne demandait guère qu’à se gouverner elle-même et à faire du métier de roi une belle sinécure, telle que nous la voyons aujourd’hui.

Lady Mary Wortley Montagne, en ses lettres tant vantées, nous décrit ce paradis d’Herrenhausen tel qu’il était en 1716, c’est-à-dire un an ou dix-huit mois après que George Ier l’eut quitté. Elle n’y trouve qu’une pauvre contrefaçon de Versailles, — chaque roi modelant alors sa perruque sur celle de Louis XIV, — une étiquette insupportable et des femmes barbouillées de fard. Tous ces fronts d’albâtre, ces cous de neige, ces joues empourprées sont du même âge et de la même fraîcheur. Les eaux jouent dans le parc comme sous les bosquets de Marly; mais le schweinskopf remplace la marée de Vatel, Mlle de La Vallière s’appelle Frau von Kielmansegge, et le Lauzun qui danse avec elle est un kammerjunker nommé Quirini. Notons que la cour est nombreuse, qu’il y a six cents chevaux dans les écuries, onze pages dans l’antichambre, trois ou quatre chambellans, douze trompettes, quatre violons français, deux musikanten, douze huissiers, vingt-quatre valets à livrée, dix cuisiniers, six marmitons, sans compter deux braten masters ou maîtres rôtisseurs, quatre boulangers, quatre pâtissiers, cinq argentiers, et pour tout ce monde... deux blanchisseuses.

Comment évoquer le souvenir d’Herrenhausen et de George Ier sans se rappeler le drame sanglant qui coûta la vie à l’imprudent Kœnigsmark ? Le verdict de M. Thackeray n’est point aussi indulgent que beaucoup d’autres, et Sophie-Dorothée, à qui du reste il accorde tout le bénéfice des » circonstances atténuantes, » n’en est pas moins déclarée coupable. Le choix désastreux qu’elle fit, en souvenir peut-être d’un amour d’enfance, — car Philippe de Kœnigsmark avait jadis été page à la cour de Zell, — ce choix seul, indépendamment de toute autre charge, ferait planer les plus graves soupçons sur une liaison pareille... « Un pire drôle ne se rencontre pas dans les annales du XVIIe siècle, » dit M. Thackeray après avoir rappelé l’assassinat de Tom Thynne, dans lequel les deux frères Koenigsmark, Johann et Philippe, furent presque également impli-